Hans Ditlev (ou Detlev) Martens appartient à l’école de Copenhague, qui essaime en Allemagne et notamment dans le Schleswig-Holstein. Il se forme à Kiel et devient peintre-décorateur à Hambourg avant d’entrer à l’Académie de Copenhague vers 1815. Il y étudie sous l’au- torité de Christoffer Wilhelm Eckersberg, de retour d’Italie : il suit les première et deuxième classes libres, puis la Gipsklasse (d’après la bosse), et la Modellschule (d’après le modèle vivant). L’enseignement d’Eckersberg développe chez Martens une attention particulière pour l’ar- chitecture et la construction de la perspective. La plupart de ses œuvres connues mettent en scène des architectures, qu’il s’agisse de monu- ments inscrits dans leur paysage ou d’intérieurs animés, lieux de vie sacrés ou profanes. Il se définit lui-même comme un spécialiste de «la représentation d’architectures de tous les temps, et de sujets d’histoire1 ». C’est ainsi qu’il justifie la nécessité de voyager à travers l’Europe pour étudier les monuments de l’Histoire. Il obtient une bourse de quatre ans financée par la Couronne du Danemark en 1824, traverse ainsi l’Allemagne et le nord de l’Italie pour finalement rejoindre Rome en 1825. Il y fréquente la communauté des peintres allemands et danois placée sous l’égide de Bertel Thorvaldsen, qui a généreusement accueilli nombre d’entre eux chez lui, Casa Buti. Martens trouve auprès de lui un soutien financier, et lui vend quelques œuvres lorsque sa situation devient trop critique. Sa peinture la plus célèbre reste d’ailleurs indéfectiblement liée au maître : elle représente l’atelier de Thorvaldsen au palais Barberini lors de la visite du pape Léon XII le 18 octobre 1826, toile qui rejoint les collections de Frédéric VI du Danemark dès 18302

 

Notre portrait de jeune fille fait figure d’image-souvenir quasi prototypale du séjour romain, avec un chemin pittoresque donnant sur Saint-Pierre de Rome, et des fragments d’antiques placés dans un angle. Mais le portrait qui vient s’y superposer, d’une grande délicatesse, est le véritable sujet de l’œuvre. Il occupe donc une place à part dans sa production, car des années romaines de Hans Ditlev Martens nous sont parvenues surtout des scènes de genre, situées le plus souvent autour des églises de Rome, confinant parfois au genre historique, et quelques rares paysages de la campagne alentour. La jeune lectrice semble très appliquée – sa lecture est intitulée du terme allemand Fleiß (« Zèle ») –, elle est apprêtée avec soin : elle incarne la candeur et le charme au sortir de l’enfance. Elle est entourée d’un jardin d’agrumes et de fleurs, cerné par les vignes, en un lieu bien précis: sur le chemin de l’Arco Scuro. Ce tunnel que l’on voit en bas à gauche, face à la villa Giulia et désormais condamné, donnait sur le Monte San Valentino et ses vignes plantées par Jules III au XVIe siècle (actuel quartier des Monti Parioli). Martens a représenté ce chemin à deux reprises, l’une dans une huile sur papier acquise par Thorvaldsen en 18373, l’autre dans un paysage pastoral4. Les perspectives sont identiques, jusqu’à la description très fine du Vatican au lointain, où l’on discerne la tour circulaire de Nicolas V. Il est tentant de reconnaître dans cet emplacement le lieu que Martens aurait découvert avec son ami le portraitiste Niels Peter Holbech, installé à Rome entre 1830 et 1834, et où ils allaient travailler ensemble5. Holbech a effectivement repris ce même décor dans l’une de ses toiles6.

 

Vers 18377, Martens quitte Rome pour Hambourg jusqu’en 1842, l’année du grand incendie. À la suite de ce drame, il s’installe à nouveau à Copenhague après avoir – semble-t-il – tout perdu. Il trouve alors auprès de Holbech la générosité d’une amitié sans faille, et un soutien financier. Cependant, Martens est déçu par son manque de reconnaissance auprès de ses pairs danois, qui le tiennent pour un rustre aux manières bizarres, jusqu’à se sentir étranger dans une ville qui a pourtant vu ses débuts en tant que peintre: «Herr Gott, komme ich nach Deutschland, so bin ich der ‘dumme Däne’, bin ich hier, bin ich der ‘verrückte deutsche Maler’8.» Il retourne en Allemagne et meurt à Kiel dans la misère, où il est enterré au cimetière des pauvres.

 

Marianne Paunet

 

1. « (...) die Darstellung architektonischer Gegenstände aus verschiedenen Zeiten, zusammen mit historischen Begebenheiten », cité in Ernst Schlee, « Der Maler Hans Detlev Christian Martens (1795-1866) », Nordelbingen / Gesellschaft für Schleswig-Holsteinische Geschichte, 1987, p. 79.

2. La Visite du pape Léon XII dans les ateliers de Thorvaldsen le 18 octobre 1826, Copenhague, musée Thorvaldsen, Inv. Dept. 18.

3. La Basilique de Saint-Pierre de Rome vue depuis la Via Sacra [sic], huile sur papier contrecollée sur toile, 76,5 x 54,3 cm, Copenhague, musée Thorvaldsen, Inv. B260, Collection Thorvaldsen. La preuve du paiement datée de 1837 est conservée aux archives du musée Thorvaldsen (Inv. gmI, nr. 37).

4. Paysage pastoral devant l’Arco Scuro, huile sur toile, 80 x 58 cm (Vente, Copenhague, Bruun Rasmussen, 9 décembre 2003, lot 1241).

5. D’après les mémoires de la fille de Niels Peter Holbech, Ursula Dahlerup, commenté in Schlee, op. cit., p. 92 : « In Italien war er, Holbech, einmal mit Martens draußen in den Bergen, um Studien zu machen. Er erkannte ein wunderschönes Motiv : die Peterskirche im Hintergrund, ein tiefer Hohlweg, ein Bergvorsprung und eine herrliche Landschaft im Vordergrund. »

6. Niels Peter Holbech, Un Pèlerin devant une fontaine sur la Via dell’Arco Scuro, huile sur toile, 64,1 x 49,7 cm, Copenhague, Thorvaldsen Museum, Inv. B 225, Collection Thorvaldsen.

7. D’après une lettre adressée à Thorvaldsen, il passe par Paris en novembre 1837 avant de rejoindre le nord de l’Europe (Copenhague, Archives du musée Thorvaldsen, Inv. m21 1837, nr. 60a).?8. Ursula Dahlerup, Fra Gammel tid, Kopenhagen, H. Hagerups Verlag, 1927,?p. 69, cité in Schlee, op. cit., p. 93 (« Seigneur, lorsque je vais en Allemagne, je suis le ‘Danois stupide’, ici, je suis le ‘peintre fou’»).

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