Le muraliste bolivien Mario Alejandro Yllanes est issu d’une famille pauvre aymara, peuple amérin­dien de la région de Titicaca. Orphelin à l’âge de douze ans, il suit sa scolarité à l’école publique, puis étudie le droit à Oruro avant de poursuivre une carrière artistique. Dès ses débuts, Yllanes réalise des peintures murales de grand format, expres­sion d’une personnalité forte et intransigeante. En 1945, il est invité à monter une exposition personnelle au Palacio de Bellas Artes de Mexico par l’ambassade de Bolivie au Mexique, où il est alors attaché culturel. Il expose vingt gravures sur bois et seize tableaux. Diego Rivera livre une préface enthousiaste au catalogue de l’exposition :

« Comme pour nous tous, dans Yllanes, la racine de notre plastique sud-américaine, vieille de plus de vingt siècles, s’est épanouie. Comme toutes les fleurs, elle était nouvelle, fraîche et forte, si forte qu’elle ne pouvait pas être déchirée ou affamée par l’exil... L’intégrité de sa position dans la lutte sociale se reflète dans l’intégrité de sa technique. Il ne joue pas de tours, il dit ce qu’il veut avec les moyens dont il dispose, sans cacher ses intentions ni sa vraie sensibilité [...] Plus Yllanes se rappro­chera, par sa propre liberté d’expression, de la pureté de notre classique et admirable identité pré-colombienne, plus il sera proche de sa cible, qu’il voit et conçoit déjà avec décision et clarté. Les artistes et travailleurs du Mexique doivent recevoir à bras ouverts le camarade bolivien Yllanes... Qu’ils soient les bienvenus parmi nous, Yllanes et son bon exemple. Diego Rivera, le 7 Juin1. »

Estaño Maldito [Étain maudit] figure parmi les décla­rations politiques les plus marquantes d’Yllanes. Enfant, l’artiste travaillait dans les mines d’étain. Il n’y était pas seulement témoin des mauvais traitements infligés à son peuple, mais victime. Réduit en esclavage par le travail forcé, ces sou­venirs sombres l’ont habité tout le restant de sa vie. La noirceur des oeuvres graphiques d’Yllanes, pleines de pathos et hantées par la mort, trouve dans Estaño Maldito un équivalent peint au moyen d’une palette de noirs, d’ocres et de violets foncés. L’agonie palpable des travailleurs dépeints grandeur nature, émergeant de l’obscurité, leurs muscles tendus jusqu’au point de rupture, transforme cette scène quotidienne en une Via Crucis expression­niste et cauchemardesque digne de Grünewald.

Après quatre décennies dans l’oubli, l’atelier d’Yllanes est finalement redécouvert à New York. Le Edith C. Blum Art Institute au Bard College coré­alise une rétrospective majeure avec le Metropolitan Museum of Art en 19922. Bien qu’universellement reconnu par les historiens d’art comme le peintre le plus important du XXe siècle en Bolivie, Yllanes reste un artiste confidentiel. Mort jeune et ayant produit peu, une grande partie de son travail est perdue ou détruite. Cependant, ses qualités artis­tiques sont si originales et exceptionnelles qu’en dépit de leur rareté ses peintures et estampes ont trouvé place dans de prestigieuses collections publiques, comme le Museum of Modern Art et le Brooklyn Museum à New York, ou la Society of Fine Arts à Lima.

 

David Le Louarn

 

1. Copie d’un texte manuscrit de Diego Rivera provenant des archives de l’artiste, conservée dans le fonds de la galerie Martin du Louvre.

2. The Spanish Conquest from the Amer-Indian Point of View. Andean Culture and the Life of Alejandro Mario Illanes, Edith C. Blum Art Institute, Bard College, New York, 1992.

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