• ill. 1. Valentin Lefèvre, L’Évanouissement d’Esther devant Assuérus. Huile sur toile, 100 x 121 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.

    ill. 2. Valentin Lefèvre, La Présentation au Temple. Pierre noire, plume et encre brune, 20,2 x 26,2 cm. Passé en vente à Londres, Christie’s, le 9 décembre 1982, lot 217.

La vie et l’œuvre de Valentin Lefèvre, longtemps confondu avec deux homonymes1, connaissent un nouvel éclairage à la suite des travaux d’Ugo Ruggieri. La découverte de son testament rédigé à Venise le 21 août 1677 et de son acte de décès2 définit avec plus de précision la chronologie d’une carrière malheureusement brève. Valentin Lefèvre est certainement passé par Paris après 1654, comme en témoigne une copie dessinée d’après Laurent de La Hyre qui souligne son intérêt pour l’atticisme parisien3. La date précise de son arri­vée à Venise ne nous est pas connue, cependant il est nécessairement dans la lagune avant 1664 : la copie du Repas chez Simon de Paolo Véronèse l'atteste, puisque l’oeuvre originale était exposée dans le réfectoire du couvent des Servites avant d’être offerte par la République de Venise à Louis XIV cette même année, et transportée à Paris par les soins de Pietro Vecchia et Pietro Liberi. Cette copie donne à voir pour la première fois l’intérêt de Lefèvre pour la peinture de Véronèse, qu’il diffuse par l’intermédiaire de l’estampe : il grave une cinquantaine de compositions, interpréta­tions d’après les maîtres vénitiens du Cinquecento pour la plupart, parues dans le recueil posthume Opera selectiora en 16824.

À son sujet, Luigi Lanzi, l’un des pères de l’his­toire de l’art italienne moderne, a écrit ces lignes : « Valentin le Febre de Bruxelles a été omis par Orlandi ; et nombre de ses estampes d’après les œuvres de Paolo [Véronèse] et des meilleurs Vénitiens sont attribuées à un autre le Febre. Il peignit peu, et toujours suivant les traces de Véronèse, dont il fut l’un des copistes et imitateurs les plus heureux. Ses visages n’ont rien d’ultra­montain, son coloris rien de son siècle vilain ; sa touche est puissante, mais n’offense pas. Ses petites peintures sont recherchées et très finies5. »

La Présentation au Temple doit certainement compter au rang de ces « petites peintures […] recherchées et très finies » citées par Luigi Lanzi. Elle pré­sente de nombreuses analogies avec des compo­sitions de la pleine maturité de l’artiste exécutées dans le courant des années 1670, telles que L’Évanouissement d’Esther devant Assuérus (ill. 1) ou Le Sacrifice de Salomon6. S’y opère une synthèse entre l’art du maître vénitien et la manière pari­sienne de la fin du règne de Louis XIII marquée par Simon Vouet. Valentin Lefèvre lui emprunte la structure architecturale de pièces de la ten­ture de l’Ancien Testament, certainement par l’intermédiaire des gravures de François Tortebat publiées en 16657 : il développe un espace d’une belle amplitude, vu da sotto insu, rythmé par les colonnes salomoniques et ouvert à l’arrière-plan sur un décor de niche à coquille qui lui donne sa profondeur. Tout comme le dispositif des colonnes, les figures féminines contournées au premier plan évoquent autant Paolo Véronèse que l'interprétation que Pierre Paul Rubens fait de la peinture vénitienne8. S’il regarde d’abord le maître, Valentin Lefèvre n’est pas un copiste servile et sait composer avec talent un néo-vé­nétianisme qui puise aussi aux sources de la peinture baroque du XVIIe siècle.

Notre tableau est documenté par un dessin prépara­toire passé par la collection « The Reliable Venetian Hand » qui présente très peu de variantes9 (ill. 2). Une Présentation au Temple autrefois propriété de Robert Strange, réputée perdue jusqu’à ce jour, pourrait lui correspondre10. (M. P.)

 

1. Claude Lefèvre de Fontainebleau, portraitiste et collaborateur de Charles Le Brun, et Roland Lefèvre, dit Roland de Venise.
2. Ces documents sont publiés et commentés par Ugo Ruggieri et Marina Stefani Mantovanelli, dans Ugo Ruggieri, Valentin Lefèvre (1637-1677), Manerba/Reggio Emilia, Merigo Art Books, 2001.
3. Ugo Ruggieri, op. cit., cat. D 19, p. 140.
4. Ibid., p. 48-51.
5. « Valentino le Febre di Bruxelles è omesso dall’Orlandi; et le molte sue incisioni delle opere di Paolo e de’ migliori veneti sono ascritte ad altro le Febre. Dipinse poco, e sempre sulle tracce del Veronese, di cui fu uno de’ copisti e imitatori più felici. Nulla han dell’oltremontano i suoi volti, nulla del cattivo suo secolo il colorito; forte è la sua macchia, ma senza offendere. Le sue picciole pitture son ricercate e finite molto », in Luigi Lanzi, Storia pittorica della Italia. Secondo tomo, parte prima, Bassano, Remondini, 1795-1796, p. 168.
6. Ugo Ruggieri, op. cit., p. 23-25, et cat. Q 35 à Q 37, p. 101-102.
7. Samson au banquet des Philistins et Le Jugement de Salomon, voir Barbara Brejon de Lavergnée et Jacques Thuillier, Vouet, Paris, Éditions de la Réunion des Musées nationaux, 1990, p. 504-506.
8. En particulier Le Jugement de Salomon exécuté vers 1617 et conservé à Copenhague, Statens Museum for Kunst.
9. Ugo Ruggieri, op. cit., D 107, p. 176-177.
10. Collection Robert Strange, sa vente, Londres, 10 décembre 1789 et jours suivants, lot 75 : « The presentation at the temple, an excellent picture by the same master; but of his own composition, though quite in Paul Veronese’s rich stile. Le Febre, however, can hardly be called an imitator; much less a plagiarist; having still formed an original manner of his own; evident enough in all his pictures. The present was purchased out of a private collection at Venice. » Deux compositions de même sujet sont rapprochées de Valentin Lefèvre, l’une conservée au musée des Beaux-Arts de Troyes, cataloguée par le RETIF (Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises) et attribuée à cet artiste : il ne s’agit que d’une copie de la composition de Paolo Veronese de Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister ; l’autre, passée en vente à Paris chez Tajan le 25 mars 2015, lot 82, également attribuée à Valentin Lefèvre : très proche de notre tableau, avec quelques variantes, elle est cependant d’une main très faible incomparable avec notre version.

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