Ce fils d’un peintre décorateur maîtrise déjà toutes les parties de l’art lorsqu’il entre dans l’atelier de Jean-Baptiste Regnault en 1802, au point qu’aucun prix académique ne lui résiste : il les remporte presque tous dès sa première année, concours de quartier, du torse, de la tête d’expression. L’année suivante, c’est la récompense ultime, le prix de Rome, avec une vision ténébriste d’Énée fuyant l’incendie de Troie avec son père Anchise (Paris, École nationale supérieure des beaux-arts). Mais la liste est longue des lauréats qui, depuis 1797, date du rétablissement du concours suspendu durant les troubles révolutionnaires, attendent leur départ pour l’Académie de France à Rome nouvellement restaurée et établie à la Villa Médicis. Blondel doit attendre 1809 pour y prendre sa place de pensionnaire. Il entre d’emblée dans le cercle sélectif des amis d’Ingres, lequel trace, cette année-là, un portrait délicat de sa physionomie avantageuse. Après avoir étudié les maîtres anciens, perfectionné sa manière de rendre la nature par une étude continuelle du nu, et avoir arpenté le pays, il revient en France en 1812. Synthèse de ses études italiennes et démonstration du profit qu’il en a tiré, son envoi au Salon de cette année est très bien accueilli par la critique. Mais s’il obtient les années suivantes encore quelque succès comme peintre d’histoire, il ne parvient pas toutefois à s’imposer au premier rang dans ce genre et place finalement toute son ambition dans la grande peinture décorative. Parmi les artistes chargés des commandes officielles sous la Restauration, Blondel est l’un des plus prolifiques, signant, avec ses peintures plafonnantes de la rotonde d’Apollon (1819) et de l’ancienne salle du Conseil d’État (1827) au Louvre, pleines de grandeur versaillaise, et avec ses quadri riportati de la voûte de la galerie de Diane au château de Fontainebleau (1825), ses plus belles réussites. Mais cette spécialisation dans un art souvent jugé accessoire, en dépit de ses vastes proportions, est la cause de son oubli dans la mémoire de l’histoire de l’art.

 

Notre tableau est une réplique réduite ou un modello de celui exécuté à Paris en guise d’« envoi de Rome » de quatrième année, Zénobie trouvée mourante sur les bords de l’Araxe est l’oeuvre la plus importante que Blondel expose au Salon de 1812. Ce tableau imposant (413 x 315 cm) est d’autant plus remarqué qu’il est l’un des rares à proposer un sujet antique et «d’un grand caractère » (Landon) dans une exposition où domine la peinture de propagande et les genres secondaires.

 

 

L’intérêt pour ce sujet, jadis traité par Poussin (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), a été renouvelé au siècle des Lumières par la tragédie de Crébillon fils, créée en 1711. L’épisode choisi par Blondel fut ainsi résumé dans la notice du livret du Salon : «Rhadamiste, roi d’Ibérie, chassé par les Arméniens (dont il avait tué le roi), fut accompagné dans sa fuite, par Zénobie, sa femme, qui supporta quelque temps les fatigues du chemin, quoi-qu’incommodée d’une grossesse ; ses forces étant épuisées, elle pria son époux de lui donner la mort, pour qu’elle n’éprouvât pas une honteuse captivité : ce prince, que l’amour détournait d’une action si étrange, l’exhortait à prendre courage ; enfin, voyant qu’elle ne pouvait avancer, et vaincu par la crainte qu’elle ne devînt la proie de ses ennemis, il la perça d’un coup d’épée, et la jeta dans le fleuve, pour que son corps ne tombât pas au pouvoir de ses persécuteurs; mais les eaux étant décrues, elle fut déposée sur le sable, où des pasteurs l’ayant trouvée qui respirait encore, la rappelèrent à la vie, puis la portèrent à la ville d’Artaxe, d’où elle fut conduite à Tiridate, roi d’Arménie, qui la reçut et la traita selon sa qualité.»

 

 

Loin de toute théâtralité, la composition appartient, par son action autant que par sa sensibilité, au genre pastoral vers lequel inclinent souvent les jeunes artistes qui ont découvert la nature italienne. Une esquisse préparatoire (ill. 1) montre certes Blondel encore sous l’influence de son ancien maître, le paysage minéral dans lequel se déversent les eaux et la distribution des rôles – un vieillard, deux jeunes hommes et une jeune femme mourante – rappelant Le Déluge de Regnault (1789, Paris, musée du Louvre). Les nombreuses variantes introduites par rapport à ce premier projet ont consisté à soustraire le groupe à son environnement hostile pour le placer en plein air, non plus sur le fond d’un torrent serpentant dans une gorge escarpée, mais sur un fond de ciel s’éclaircissant après l’orage.

 

 

Compte tenu de son format le tableau ne pouvait guère passer inaperçu, et quoique son action ne fût pas d’un caractère sensationnel, tous les salonniers s’accordèrent à y reconnaître un des tableaux les plus intéressants du Salon : « Il plaît dès qu’on le voit ; après un nouvel examen il plaît encore (1) » ; « Il en est qui, au premier aspect, attirent plus les regards de la multitude ; mais il faut le compter dans le très petit nombre de ceux vers qui les amis de l’Art reviennent avec le plus de plaisir (2). » Outre la solidité du coloris et la noblesse du dessin, les spectateurs se délectèrent plus particulièrement de la variété des expressions : « un berger d’un âge mûr pose une de ses mains sur le coeur de cette princesse, et de l’autre fait signe à ses compagnons qu’elle respire encore. Du côté opposé, un autre berger, plus jeune, se penche avec intérêt vers elle, et laisse voir sur son visage la joie que lui cause une si heureuse nouvelle ; il la transmet à un vieillard qui est au centre de la composition, et qui ne pouvant, à cause de son âge, prendre une part bien vive à l’action, réfléchit profondément sur l’aventure terrible dont il est témoin. Près de lui, une femme paraît pénétrée de la pitié la plus tendre, tandis que l’enfant qu’elle porte ne fait aucune attention à ce qui se passe sous ses yeux (3). »La beauté de Zénobie attacha enfin tous les regards.

 

 

Détruite en 1944 dans les bombardements du musée de Saint-Malo, où l’État, qui l’avait achetée à l’artiste au Salon (4), l’avait déposée, l’œuvre finale n’était plus connue que par sa gravure au trait par Normand (ill. 2). D’une exécution fine, notre réplique réduite révèle le sentiment poétique que le jeune peintre devra à l’avenir sacrifier à la rhétorique des grands décors. (M.K.)


 

1. S. Delpech, « Beaux-Arts. Salon de 1812. MM. Prud’hon, Blondel et Gros », Mercure de France, journal littéraire et politique, LIII, 1812, p. 360.

2. J. Durdent, Galerie des peintres français du Salon de 1812, Paris, A. Eymery, 1813, p. 13.

3. Delpech, op. cit., p. 360-361.

4. Zénobie est exposée au musée du Luxembourg, où la voit Alexandre Jal en 1819 (« Mes visites au musée royal du Luxembourg », L’Ombre de Diderot et le bossu du Marais ; dialogue critique sur le Salon de 1819, Paris, Coréard, 1819, p. 44-48). Le tableau est déposé par l’État au musée de Saint-Malo en 1872.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ill. 1. Merry-Joseph Blondel, Zénobie trouvée mourante sur les bords de l’Araxe, esquisse, vers 1812. Huile sur papier marouflé sur toile, 33 x 26 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts.

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ill. 2. C. Normand d’après Blondel, Zénobie trouvée mourante sur les bords de l’Araxe, 1812. Gravure au trait, planche 7 du Salon de 1812 de C.-P. Landon, tome II.

 

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