La carrière de cet artiste originaire de Lille, devenu l’élève de Léon Bonnat à Paris, n’est guère documentée que par ses participations au Salon des artistes français, de 1897 à 1927. Il s’y distingue toujours avantageusement par ses portraits. Celui de sa mère lui vaut une médaille de troisième classe à l’Exposition universelle de 1900, et les années suivantes on reconnaît dans ses œuvres « la recherche heureuse de la vérité physionomique et la juste harmonie(1) », « une émotion profonde(2) », « une grâce pensive et […] une délicatesse savante de modelé(3) ». À l’instar de Mucha ou de Maxence, il fournit au fabricant de papier Job une peinture de femme tenant une cigarette pour servir d’image publicitaire à la marque, en 1906. Mais les limites du genre qu’il exerce et la modestie de ses envois aux Salons ne parviennent pas à imposer le peintre avant 1914. La galerie d’anonymes que composent ses « études » de têtes ne révèle pas de vie mondaine ni d’implantation privilégiée dans le milieu artistique de son temps : soit par humilité, soit parce qu’il est à l’abri du besoin, Duvocelle reste un artiste réservé.

 

Son oeuvre publique ne laissait pas soupçonner l’imagination à la perversité truculente dont est venu témoigner le dessin intitulé Crâne aux yeux exorbités, acquis par le musée d’Orsay en 1996(4), et figurant la Mort tel un marionnettiste jouant avec le fil de la vie, que la lame menaçante de sa faux n’est pas loin de trancher (ill. 1). Son tableau La Mort nous guette, dont le dessin procède sans doute, aurait pu donner l’indice de cette veine gothique s’il avait été vu à Paris, au lieu d’être envoyé dans une exposition à Prague en 1904 et soustrait pour longtemps à la connaissance du public et des historiens de l’art français. La découverte de la Scène macabre est donc un apport significatif au catalogue de Duvocelle et à la connaissance de son art. Son sujet est une variation sur le thème de « la jeune fille et la mort » qui traverse la culture européenne depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, rencontrant une fortune particulière au siècle du romantisme et du décadentisme. Duvocelle supprime toutefois l’érotisme qui caractérise son iconographie courante. Si le scénario du conte cruel qu’il donne à voir nous échappe, il est évident que, dans la relation triangulaire que forment le jeune couple et la Mort, cette dernière préside à la destinée fatale des amants. L’évanescence des formes ne permet pas de déterminer si l’homme est agenouillé ou si la jeune femme tient sa tête décapitée entre ses mains. Dans le second cas, son costume du XVIe siècle pourrait l’identifier à Marguerite de Navarre recueillant la tête tranchée de son amant pour la faire enterrer, Duvocelle tirant de la chronique romantique une vanité horrifique. Lassitude, tête de femme en grisaille, exposé en 1902, La Châtelaine, présenté en 1906, dans lequel Louis Vauxcelles voyait des « dames estompées dans la fumée de tabac(5) », renvoyant non sans perfidie le coloris au sujet de la figure peinte pour Job la même année, démontrent que l’artiste affectionne la peinture en camaïeu. L’atmosphère brou de noix d’où émergent les figures fantomatiques de la Scène macabre rappelle la manière d’Eugène Carrière, mais ce clair-obscur ressortit aussi aux « noirs » des graveurs « fin de siècle », tels Odilon Redon, Félicien Rops ou Marcel Roux, dont il partage le répertoire diabolique. (M.K.)

 

 

 

 

 

 

1. Revue de Paris : journal critique, politique et littéraire, 1905, XII, p. 631, à propos d’un portrait de vieille dame.
2. Notes d’art et d’archéologie, 1910, p. 91, à propos de La Sortie.
3. Revue française : politique et littéraire, 1914, p. 132, à propos d’une Tête de jeune fille.
4. Il était l’une des œuvres phares de l’exposition L’Ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya et Max Ernst, Francfort-sur-le-Main, Städel museum ; Paris, musée d’Orsay, 2012-2013, voir cat. exp., Côme Fabre, Félix Krämer (dir.), n° 112, p. 201. Voir aussi Claire Barbillon, «Nouvelles acquisitions », La Revue du musée d’Orsay, n° 1, septembre 1995, p. 30, et cat. exp. De l’impressionnisme à l’Art nouveau – Acquisitions du musée d’Orsay, 1990-1996, Paris, musée d’Orsay, p. 180.
5. Louis Vauxcelles, « Le Salon des artistes français au Grand Palais », Gil Blas, 30 avril 1906, p. 2.

 

 

 

 

 


 

 

 
ill. 1. Julien Adolphe Duvocelle, Crâne aux yeux exorbités, vers 1904. Graphite, fusain et estompe, 36 x 28,5 cm. Paris, musée d’Orsay.

 

Shorten

Read more

Artist sheet

Other works

Print


Other works by this artist