ÉEJean-Baptiste dit Joanny Chatigny est, à l’instar de James Bertrand ou de Pierre-Charles Comte, un représentant oublié de l’école lyonnaise « post-troubadour ». Ce fils d’un ancien soldat de l’Empire devenu teinturier en soie se forme à l’École des beaux-arts de Lyon dans la classe de gravure de Vibert, de 1848 à 1851. Il se rend à Paris l’année suivante et y fréquente les ateliers de Picot et de Couture, mais ce sont des Lyonnais que Chatigny se choisit finalement pour maîtres, en Paul Chenavard et Hippolyte Flandrin. Le projet d’une grande composition des Célébrités lyonnaises, initié en 1853, impressionne ses aînés au point qu’ils lui obtiennent d’être exempté de la conscription. Ce n’est qu’après un séjour de deux ans en Italie (1858-1860) qu’il entame sa carrière, à Lyon, où il revient s’établir en 1862, et où le statut d’élève de Flandrin lui réserve un accueil favorable. S’il expose des portraits et des scènes de genre aux Salons de Paris et de Lyon à partir de 1864, ce sont ses décors religieux qui fondent sa renommée dans la région (Chalon-sur-Saône, Villefranche-sur-Saône, Paray-le-Monial, Lyon). Ils lui valent d’obtenir de Charles Blanc, directeur de l’administration des Beaux-Arts, la commande d’une copie d’une fresque du couvent Sant'Onofrio à Rome pour le Musée européen. À son retour, en 1873, après vingt années de ges­tation, Chatigny présente Les Célébrités lyonnaises au Salon de Paris, où l’œuvre est acquise par l’État et déposée au musée de Lyon (aujourd’hui au Palais de Justice). La réussite de Chatigny dans sa ville natale se mesure à ses envois considérables au Salon annuel et à la fréquentation de son atelier1.

Au Salon de 1878 à Paris, Chatigny expose un tableau intitulé Jeunesse de Jean-Jacques Rousseau, présenté dix ans plus tard dans l’exposition rétros­pective du peintre au palais de la Bourse à Lyon sous le titre Jean-Jacques Rousseau dans la grotte des Étroits. Ce mythe lyonnais trouve son origine dans les Confessions, où Rousseau se remémore une nuit passée à la belle étoile, à la fin de l’été 1731, sur un chemin à l’entrée de Lyon : « Je me souviens d’avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud ce jour-là, la soirée était charmante ; la rosée humectait l’herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l’air était frais, sans être froid ; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l’eau couleur de rose : les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l’un à l’autre. Je me promenais dans une sorte d’extase, livrant mes sens et mon coeur à la jouissance de tout cela, et soupirant seu­lement un peu du regret d’en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m’apercevoir que j’étais las. Je m’en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi ; je m’endormis à son chant : mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux, en s’ouvrant, virent l’eau, la verdure, un paysage admirable » (extrait du Livre IV). Modello, ou riccordo, notre version garde le souvenir du grand tableau aujourd’hui non localisé, caractéristique de l’invention de Chatigny dans le genre historique, qui procède toujours plus de la peinture de genre que de la tradition classique. Privilégiant la vision élégiaque qui lui permettait d’introduire un paysage au ciel crépusculaire, le peintre accréditait le mythe de la grotte dont Rousseau ne dit mot et qui est une invention du XIXe siècle. (M.K.)

 

1. Voir la notice d’Élisabeth Hardouin-Fugier dans Portraitistes lyonnais, 1800-1914, cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 1986, p. 92-95.

 

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