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(Rome, 1770 – Paris, 1837)
Hector déploré par sa famille
Pinceau et lavis gris, sur traits de graphite et de pierre noire, plume et encre brune, sur papier vélin
21,4 x 29,3 cm
Bibliographie
Inédit.
ill. 1. François Gérard, Achille jurant de venger la mort de Patrocle. Huile sur toile, 475 x 725 cm. Caen, musée des Beaux-Arts (détruit).
Bien que ses contemporains l’aient considéré comme l’un des grands peintres d’histoire de son temps – toutes les publications qui le commémorent après sa mort le proclament –, c’est comme portraitiste de têtes couronnées que François Gérard est passé à la postérité. Trois thèses d’histoire de l’art soutenues ces trente dernières années, demeurées inédites, n’y ont rien changé. Le portraitiste de Mme Récamier, devenu premier peintre de l’impératrice Joséphine, puis premier peintre des rois Louis XVIII et Charles X, a toujours semblé plus facile à vendre au public des expositions que l’inventeur de compositions littéraires et de grandes pages historiques.
Élevé à Rome dans la maison du cardinal de Bernis, ambassadeur de France près le Saint-Siège, dont son père est intendant, François Gérard arrive avec sa famille à Paris en 1782. Il intègre la Petite école, pension royale formant aux arts les enfants d’artistes et autres élèves protégés, grâce au soutien du bailli de Breteuil, ministre de la Maison du roi, au service duquel travaille désormais son père. Son entrée, en 1786, dans l’atelier de David, le plus en vue de la capitale, est le signe de l’ambition que font naître ses bonnes dispositions. Gérard s’impose comme l’un des plus doués des élèves, avec Drouais, Girodet et Fabre, et devient un proche collaborateur du maître, qui l’associe à l’exécution de son tableau Les licteurs rapportent à Brutus le corps de ses fils (Salon de 1789, Paris, musée du Louvre). Lauréat du second prix de Rome de 1789, derrière Girodet, Gérard est éloigné du cursus académique par ses obligations de soutien de famille. Mais il peut compter tout au long de la Révolution sur le soutien de David, dont il est, depuis la mort de Drouais, l’émule le plus prometteur et le plus fidèle. Jusqu’à Thermidor le maître exerce un fort ascendant sur Gérard, qui ne pense la peinture d’histoire qu’aux travers des thèmes et des codes davidiens. Avec la chute de Robespierre et la disgrâce de David, Gérard s’émancipe et produit des oeuvres personnelles et novatrices d’une sensibilité déjà romantique (Bélisaire, au Salon de 1795 ; L’Amour et Psyché, Salon de 1798), mais qui ne lui procurent que peu de ressources. La pratique du portrait, genre pour lequel il démontre un talent supérieur à celui de tous ses contemporains, lui est alors plus profitable et lui assure rapidement succès et fortune. Le patronage des époux Bonaparte sous le Consulat le place pour longtemps au plus près du pouvoir ; il est l’un des premiers artistes à recevoir la Légion d’honneur et le premier de sa génération à être reçu membre de l’Académie des beaux-arts, en 1812. Le sens diplomatique du peintre courtisan lui permet de réunir dans son salon l’élite aristocratique et intellectuelle de l’Empire et de la Restauration. Ne se résignant cependant pas à son rôle de portraitiste de cour, il honore d’importantes commandes publiques qui l’imposent comme un authentique peintre d’histoire, telles la Bataille d’Austerlitz (Salon de 1810, Musée national du château de Versailles) et L’Entrée d’Henri IV à Paris (Salon de 1817, idem).
Son répertoire, qui englobe l’allégorie, la mythologie et la littérature moderne, est étendu. Mais le seul domaine dans lequel il n’a pu démontrer son génie est sans doute celui qui lui tenait le plus à coeur, et qui constituait, dans la hiérarchie des genres picturaux, le plus haut degré de l’invention historique, celui de la peinture homérique. Gérard n’acheva jamais son tableau d’Achille jurant de venger la mort de Patrocle (ill. 1), le plus vaste qu’il ait jamais entrepris et qu’il tint à l’abri des regards plus de vingt années durant. Rares sont les contemporains à avoir vu cette grande machine entamée sans doute avant 1810, détruite en 1816, puis recommencée, et que le peintre n’eut plus le courage d’achever, lorsque, vieillissant, la jeune génération voyait en lui un « invalide des Beaux-Arts1 ». L’oeuvre fut à son tour détruite dans l’incendie du musée des Beaux-Arts de Caen en 19442.
Tiré du chant XXIV de L’Iliade, le dessin d’Hector déploré par sa famille est un autre témoignage de la volonté de Gérard de se mesurer au verbe homérique, en choisissant l’une de ses images les plus pathétiques. Deux dessins au trait conservés au musée du Louvre3, qui semblent indiquer l’intention de faire graver la composition, la présentent dans un état que l’on peut supposer définitif, à en juger par la mise au carreau sur l’une des deux feuilles (ill. 2). Ce projet n’est toutefois connu par aucune autre version que notre esquisse préparatoire au lavis. Dans celles-ci les variantes sont nombreuses, telles l’absence de Priam, la posture du frère embrassant Hector, et celle d’Andromaque dont les bras tendus accompagnent les plaintes dans un geste de déploration autant que de reproche : « Dans quelle tristesse, inexprimable, as-tu plongé ton père et ta mère, ô mon cher Hector ! Mais c’est moi surtout à qui tu n’as laissé en partage qu’une sombre douleur. Hélas ! tu ne m’as pas tendu de ton lit une main mourante [...]4. »
Quoique Achille et Hector perpétuent l’esthétique du beau idéal, la liberté d’exécution du dessin rappelle que l’artiste a expérimenté un faire plus spontané au contact des jeunes romantiques. La composition est peinte plus que dessinée, la tache l’emporte sur le trait, celui-ci n’intervenant que pour préciser ponctuellement une forme au moyen d’une plume nerveuse. Les croquis en marge de la scène centrale interviennent comme des remarques témoignant du cheminement de la pensée – sans qu’il soit possible d’en préciser le motif. Un croquis au revers (ill. 3) pourrait représenter le moment de la mort d’Hector. (M.K.)
Shorten
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