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(Paris, 1766 b- id., 1828)
Marie Antoinette d’Autriche, reine de France, ou Marie Antoinette séparée de sa famille au Temple, 1818
Huile sur papier marouflé sur toile
31 x 40 cm
Signé et daté en bas à droite : Pajou / 1818
Au revers, sur le cadre et le châssis, fragments de deux étiquettes : CAJOU (Paris) / 3. Die letzten Momente der Maria Antoinette (grossen Gemälde)
Historique
Peut-être le n° 23 de l’Inventaire après décès de l’artiste : Pajou. Intérieur de prison. La Reine Marie-Antoinette séparée de ses enfants, esquisse, 15 fr. (Nusbaumer, 1997, p. 96, n° 87).
Fils du célèbre sculpteur, Jacques-Augustin Pajou se situe dans la classe des talents honorables, tels Berthon, Garnier, Gautherot, Monsiaux, Mérimée, auxquels il ne manqua qu’une invention capable de rivaliser avec celle de leurs contemporains de premier rang. Élève de Vincent, il concourt en vain au prix de Rome de 1788 à 1792, jusqu’à ce que son enthousiasme patriotique emporte sa détermination artistique. Lorsque la patrie est déclarée en danger en juillet 1792, Pajou rejoint une compagnie des arts levée sur la section du Louvre pour grossir les rangs de l’armée de Dumouriez. Un mois de campagne suffit à dégoûter l’artiste de l’art militaire, « diamétralement opposé à la douce philosophie qui répugne à répandre le sang humain1 ». De retour à Paris au printemps 1793, il participe à l’éphémère Commune générale des arts créée pour remplacer la ci-devant Académie royale de peinture et de sculpture, ainsi qu’à la Société populaire et républicaine des arts qui lui succède à l’automne. Son nom ne se retrouve que de loin en loin dans les annales des arts, du Directoire à la fin de l’Empire, parmi les signataires de pétitions diverses et dans les livrets du Salon. Si ses peintures d’histoire reçoivent un accueil mélangé au Salon (OEdipe maudissant Polynice, 1804, Poitiers, musée Sainte-Croix ; Rodogune, 1810, Paris, musée Carnavalet, acquis auprès de la galerie Descours en 2001), l’artiste est en revanche plus heureux comme portraitiste.
Comme de nombreux artistes républicains de la première heure, Pajou s’accommode des régimes successifs qui lui procurent des commandes et fait sa cour aux Bourbons dès la première Restauration. Pour le moins démonstrative, son allégeance est attestée par sa tentative d’obtenir du baron Chabrol, préfet de la Seine, la commande d’«une composition allégorique destinée à transmettre à la postérité l’image de la régénération opérée en France par le retour du souverain légitime2 », dont il lui soumet le modello le 12 juillet 1814, lequel se confond sans doute avec Le Retour de Louis XVIII exposé au Salon de la même année (« tableau allégorique », non localisé)3. Si ce projet ne connaît pas de suite, la commande par la préfecture de la Seine, en 1817, d’une peinture destinée à orner la cellule de Marie-Antoinette à la Conciergerie transformée en chapelle expiatoire, est le résultat différé de cette première approche. La commande associe trois artistes chargés de représenter chacun un épisode de la captivité de la reine : Drolling, Marie-Antoinette communiant dans sa prison, Simon, Marie-Antoinette en deuil, et Pajou, le moment où « cette auguste et infortunée Princesse, séparée de sa fille et de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, est emmenée de la prison du Temple pour être transférée dans celle de la Conciergerie4 ».
Ce dernier dut cependant abandonner ses espoirs de voir sa peinture d’histoire contemporaine augmenter sa réputation au Salon, en raison sans doute de l’amour-propre de la duchesse d’Angoulême, contrariée de se voir mise en scène dans l’un des moments les plus traumatisants de sa vie: « j’ai été empêché par ordre supérieur d’exposer au Salon un tableau ordonné par le Préfet de la Seine et destiné pour la Chapelle expiatoire représentant l’Auguste et infortunée Marie Antoinette Reine de France séparée de sa famille et retirée de la prison du Temple pour être transférée à la Conciergerie. J’ai tout lieu d’espérer d’après les témoignages d’un grand nombre d’amateurs et d’artistes qui sont venus le voir que ce tableau exposé au Salon eût fixé avec intérêt l’attention du public; et d’en conclure que la section de
l’Académie qui vient de mentionner plusieurs ouvrages de l’exposition aurait pu faire mention du mien, sans craindre le reproche de partialité5. »
Ce tableau est de fait l’une de ses plus grandes réussites (ill. 1). La scène, sise entre deux portes dans un passage dont l’étroitesse augmente l’intensité pathétique, et saisie dans la lumière dramatique d’une torche cachée aux yeux du spectateur, trahit une inspiration théâtrale déjà sensible dans Rodogune, l’exagération en moins. La simplification de l’espace a favorisé une expression des passions plus naturelle et plus touchante, tandis que l’éclairage ténébriste a conditionné une palette restreinte où chaque couleur prend toute sa dimension symbolique: la tenue de deuil de la reine, la blancheur virginale de Madame Royale, l’écharpe tricolore du membre du Comité de salut public et son gilet écarlate.
Pajou conserva jusqu’à sa mort une esquisse de ce tableau, la seule répertoriée à ce jour, qui pourrait correspondre à celle que nous publions. L’absence de variante et la date de 1818 semblent indiquer qu’il pourrait s’agir d’un riccordo. Cependant, la technique de l’huile sur papier marouflé sur toile est plus souvent employée au cours du travail préparatoire et il n’est pas impossible que celle-ci soit le modello daté a posteriori par son auteur. Marie Antoinette séparée de sa famille ne fut pas sans postérité. La nature de l’action, sa tonalité funèbre et le clair-obscur conditionné par le jeu des ouvertures inspireront Révoil au moment de peindre une version métaphorique du sort de Marie-Antoinette dans Marie Stuart séparée de ses fidèles serviteurs, de 18226 (ill. 2). (M.K.)
1. Pajou à Gérard, 9 novembre 1792, cité par Henri Gérard, Lettres autographes adressées au Baron François Gérard, Paris, 1886, I, p. 208.
2. Pajou au baron Chabrol, 15 juillet 1814, cité par Philippe Nusbaumer, Jacques-Augustin-Catherine Pajou (1766-1828), peintre d’histoire et de portrait, Nusbaumer, Le-Pecq-sur-Seine, 1997, p. 135.
3. Voir Nusbaumer, 1997, p. 90.
4. Livret du Salon de 1817, n° 599.
5. Pajou au président de l’Académie royale des beaux-arts, 17 juin 1817, Paris, Bibliothèque de l’INHA, n° 9924-9925, cité par Nusbaumer, 1997, p. 137-138. Cet auteur suppose que le tableau a été exposé au début du Salon avant d’être retiré. Mais rien ne corrobore cette hypothèse, et il n’y a pas lieu de mettre en doute la parole de l’artiste ; le fait était trop notoire dans le milieu artistique pour qu’il crût pouvoir le réécrire.
6. Sur ce tableau voir Le Passé retrouvé. L’histoire imagée par le XIXe siècle, cat. exp. Lyon, galerie Michel Descours, 2014, p. 47-49.
Shorten
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