Il est difficile de dissocier Harald Jerichau de sa mère, Elisabeth Jerichau Baumann (1819-1881), qui a veillé au développement de son talent et favorisé sa carrière jusqu’à sa mort précoce à l’âge de vingt-sept ans. Polonaise de naissance, élève de l’Académie des arts de Düsseldorf, installée à Rome en 1845 où elle rencontre son mari le sculpteur danois Jens Adolf Jerichau (1816-1883), la femme peintre connaît un succès considérable dans l’Europe cosmopolite de la seconde moitié du XIXe siècle. Portraitiste officielle de la cour du Danemark – parrainage qui lui donne accès aux autres cours européennes –, elle participe aux expositions universelles parisiennes de 1867 et 1878, expose dans les capitales du continent, où ses oeuvres lui valent des distinctions, et mène sa carrière avec une détermination et un esprit d’entreprise rares pour une femme de son temps, par ailleurs mère de neuf enfants. Cependant, en raison de sa perméabilité aux influences germanique et française, Elisabeth Baumann est une figure controversée dans son pays, où le repli culturel nationaliste domine la vie intellectuelle après la défaite du royaume à l’issue de la guerre des Duchés, en 1864. Les voyages sont, en effet, le ressort de sa création, et c’est par son rôle dans le développement de l’orientalisme que son apport à l’art de son temps est le plus significatif. Attirée par l’Orient autant que par la représentation qu’en ont fait les peintres français, elle se rend en Égypte et en Turquie, où les recommandations princières lui ouvrent les portes du harem de Mustafa Fazil Pacha, lui donnant le privilège d’accéder à un monde interdit à ses confrères masculins.

On doit à Elisabeth Baumann l’essentiel de nos connaissances sur Harald, à qui elle consacra un livre de souvenirs1. Après qu’il eut été élève de l’Académie royale des beaux-arts, dirigée par son père, et qu’il se fut perfectionné dans l’art du paysage auprès de Frederik Christian Lund et d’Eiler Rasmussen Eilersen, Elisabeth l’emmène à Rome en 1868 pour confier sa formation à Bénouville, alors directeur de la villa Médicis. Ce dernier juge le talent du jeune homme assez solide pour se perfectionner par lui-même devant la nature. Après six mois d’études romaines, suivant l’exemple de sa mère, Harald entame une carrière itinérante en visitant alternativement la Turquie et la Grèce, Paris, la Suisse, Constantinople (à plusieurs reprises), Naples, tout en exposant régulièrement à Copenhague de 1873 à sa mort. En 1875, il épouse sa cousine Maria Kutzner à Constantinople, où le couple s’est installé depuis un an avec Elisabeth. La mort du premier enfant, puis celle de Maria à Naples en 1876, sont les deux évènements tragiques qui font basculer la vie du peintre. Après avoir été près de se suicider, Harald succombe à l’effet conjugué de la malaria et de la fièvre typhoïde, à Rome, en 1878.

L’oeuvre la plus ambitieuse qu’il ait laissée est une ample vue des environs de Sardes, commandée par le brasseur Jacob Christian Jacobsen et achevée à Rome l’année de sa mort (Copenhague, Statens Museum for Kunst). Elle est la somme d’études que le peintre a faites au cours d’excursions dans la plaine lydienne en compagnie du consul de Smyrne W. Spiegel2. À la différence de ce paysage épique, dans lequel le peintre a poussé la virtuosité de l’exécution aussi loin qu’il le pouvait, Voyageurs se reposant sur la route de Sardes est semblable à une page de carnet de voyage saisissant un moment du quotidien. Le modeste campement s’éveille dans un site grandiose, dont l’échelle est donnée par la silhouette d’un village se découpant à l’horizon au pied de la montagne. En plus du charme plaisant de l’exotisme, ce contraste entre le proche et le lointain révèle l’intelligence pittoresque du peintre, tandis que la qualité de la lumière du soleil levant signale en lui un héritier de l’Âge d’or danois. (M.K.)

 

 

1. Til Erindring om Harald Jerichau, Copenhague, 1879.
2. Id., p. 48.

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