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(Paris, 1755 – id., 1830)
Trait de bravoure et de patriotisme de plusieurs soldats français détenus en prison, 1794
Huile sur toile
40,6 x 61 cm
Provenance
– Peint entre avril et juin 1794 pour le concours de peinture de l’an II ; l’artiste reçoit un second prix d’un montant de 9000 L.
– Vente de l’artiste, Paris, 9-10 avril 1827, lot 76.
– Vente à Paris, Antonini Renaud, 17 mars 1971, lot 41.
– Vente à Rio de Janeiro, Ernani, 21 novembre 1977, lot F.57.
– Rio de Janeiro, collection particulière.
– Vente à New York, Sotheby’s, 28 mai 1981, lot 18.
– New York, collection particulière jusqu’en 2018.
Exposition
– Paris, 1794, Concours de l’an II.
VENDU
Acquis par le musée de la Révolution française de Vizille
L’oeuvre de Nicolas-Antoine Taunay défie la traditionnelle hiérarchie des genres picturaux, et est, à cet égard, emblématique de la crise que traverse l’ordre académique au cours de la Révolution, puis des accommodements que les besoins de la propagande y introduisent sous l’Empire. La formation de ce fils d’orfèvre chimiste préfigure d’ailleurs déjà cette évolution : de l’atelier de Lépicié, un peintre d’histoire converti à la scène de genre, avec lequel il étudie en 1768-1772, il passe dans celui de Brenet, l’un des rénovateurs de la grande peinture, auprès duquel il se perfectionne dans l’imitation de la figure humaine et acquiert le sens des formes nobles et l’art de composer avec grandeur. Il prend ensuite des leçons du peintre de batailles Casanova, sans doute jusqu’au départ de ce dernier pour Vienne en 1783, et reçoit les conseils de Joseph Vernet. L’artiste qui naît de ce parcours multiple est un peintre complet : il a un goût prononcé pour les scènes de genre – avec une prédilection pour les scènes de liesse populaire –, il est pleinement paysagiste, tout en étant, de tous les contemporains du genre, celui qui maîtrise la
figure humaine au plus haut degré.
Agréé à l’Académie en 1784 comme peintre de paysage, Taunay obtient la même année une place de pensionnaire à l’Académie de France à Rome grâce au soutien de Pierre, Premier peintre du roi, et de Joseph Marie Vien. Il rejoint ainsi l’importante colonie d’artistes français pensionnés par le roi (Chaudet, Drouais, Percier, Michallon…) et hors l’Académie (Bidault, Chauvin, Hennequin, Prud’hon, Sablet, Wicar…), et fréquente sans doute David, venu peindre le Serment des Horaces, à en juger par ses dessins urbains aux géométries rigoureuses, comparables aux recherches contemporaines de David sur ce thème. La Révolution offre des sujets nouveaux à ce peintre doué pour saisir le caractère de ses contemporains, mais sous la Terreur il préfère se retirer à Montmorency, dans le havre du petit Mont-Louis, ancienne demeure de Jean-Jacques Rousseau. Il est membre de l’Institut dès sa création en 1795, obtient au cours de la décennie plusieurs prix d’encouragement, mais la prospérité ne vient qu’avec le Consulat. Ayant démontré son aptitude à développer des compositions en grand avec l’Extérieur d’un hôpital militaire (Salon de 1798, Versailles, Musée national du château), il recevra régulièrement des commandes jusqu’à la fin de l’Empire. La geste militaire lui inspire ses inventions visuelles les plus marquantes (Bataille du Pont de Lodi, Boissy-Saint- Léger, château de Grosbois ; Passage de la Guadamarra, Versailles, Musée national du château) et montre, en comparaison des petits tableaux d’agrément qu’il peint pour les amateurs, l’étendue de son talent.
En 1815, craignant que le changement de régime ne lui soit défavorable, il saisit l’offre qui lui est faite de participer à une mission à Rio de Janeiro pour y créer un Institut des beaux-arts sur le modèle français. Le seul bénéfice qu’il tirera de cette mission, marquée par des conflits d’ego entre artistes et par le défaut de clientèle, sera la découverte de la nature exotique qui lui inspirera nombre de tableaux. Si plusieurs de ses fils restent au Brésil, Nicolas-Antoine revient en France en 1821. Sa vie n’y est pas plus heureuse : il obtient peu de commandes, les Bourbons le snobent et il perd son frère Auguste et son fils Adrien au Brésil.
Au printemps 1794, le Comité de salut public organisa des concours de peinture, de sculpture et d’architecture – les concours de l’an II –, afin d’entretenir le patriotisme des artistes que la Révolution a privés des moyens de subsister en raison de la défection des mécènes traditionnels et de la raréfaction des clients particuliers. Les peintres furent libres de choisir leur sujet, pourvu qu’ils représentassent les « époques les plus glorieuses de la Révolution française ». Le choix de Taunay, comme de nombreux peintres de genre, se porta sur un trait de bravoure donnant lieu à la description d’un élan populaire. Les représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Occidentales relatèrent à la Convention, le 18 pluviôse an II (6 février 1794), comment une bataille fut remportée à Saint-Jean-de-Luz contre les Espagnols grâce au zèle de prisonniers militaires : « Aux premiers coups de canon qui se sont fait entendre, tous les prisonniers près le tribunal militaire de Chauvin-Dragon [ci-devant Saint-Jean-de-Luz] ont fait presser le général de leur donner la permission d’aller combattre. Leur prière était si vive et si souvent réitérée qu’ils ont obtenu cette permission. L’un d’eux était officier ; il se présente à leur tête, il répond de tous, et tous jurent de vaincre. Arrivés au champ de bataille, ils sont en effet vainqueurs ; et, pour accomplir leur serment, ils reviennent, déposent leurs armes, rentrent dans les prisons et reprennent leurs fers1. »
La Convention nationale vit dans ce trait de vertu un exemple à diffuser auprès de toutes les armées de la République par le biais de son bulletin, exemple d’autant plus positif que l’histoire se concluait par la libération des prisonniers combattants2. Mais c’est le moment antérieur de leur retour en prison, dans le fort de Socoa, qu’a choisi de représenter Taunay. Il lui offrait la possibilité de développer le genre d’action
qu’il affectionnait, le mouvement d’un peuple en liesse sur la place publique, manifestant son enthousiasme par une variété d’attitudes expressives – acclamations, levers de chapeaux, bonnet rouge et couronnes de lauriers brandis. À défaut de connaître la topographie des lieux, Taunay inventa une esplanade monumentale dans laquelle s’articulent les tours cylindriques du fort rappelant approximativement l’édifice de Vauban, et régla les proportions de l’ensemble de manière à donner une grande ampleur spatiale à cette scène de petites dimensions. Le Trait de bravoure figura en bonne place parmi les récompenses distribuées par le jury du concours, puisqu’il obtint un second prix, d’un montant de 9000 livres, attribué pour l’exécution d’un tableau laissé au choix de l’artiste. L’état des finances publiques ne lui permit guère que d’obtenir la moitié de cette somme3, mais la commande dont Taunay s’acquitta néanmoins fut celle qui contribua le plus à établir sa réputation, l’Extérieur d’un hôpital militaire.
Les dimensions de notre tableau correspondent à l’esquisse de présentation soumise au concours. Rapidement tombé dans l’oubli, le sujet fut assez tôt source de confusion. Tandis que l’oeuvre était assimilée à la prise de la Bastille dans une vente de 1827, le sujet de son esquisse préparatoire, correctement identifié dans le catalogue d’une vente de 1831, était localisé à Besançon, erreur géographique qui a perduré jusqu’à nos jours4. Une erreur de transcription du sujet sur le registre d’enregistrement du concours de l’an II est la cause de l’oubli de Saint-Jean-de-Luz. Ignorant que cette ville avait été rebaptisée Chauvin-Dragon sous la Révolution, les historiens interprétèrent le dernier vocable comme la catégorie militaire des héros de l’histoire : ils devinrent « les soldats de Chauvain, Dragons ». On ignore en revanche comment le nom de la ville bourguignonne vint à se substituer à celui de la cité basque. (M.K.)
1. Réimpression de l’ancien Moniteur, 3e série, IV, 1861, p. 458, 26 pluviôse an II (14 février 1794).
2. Collection générale des décrets rendus par la Convention Nationale, XVIII, pluviôse an II, p. 211.
3. Claudine Lebrun Jouve, Nicolas-Antoine Taunay, Paris, 2003, p. 190.
4. Ibid.
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