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(Maisons-Laffitte, 1889 - Milly-la-Forêt, 1963)
Autoportrait, années 1930 ; lié au dessin n° 6 de la série
Encre de Chine au dos d’un papier à entête du Café Haussmann à Paris,
31 x 23 cm.
Dessin accompagné d’une lettre d’Annie Guédras, spécialiste de l’oeuvre de Jean Cocteau, certifiant l’authenticité de l’oeuvre.
«Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi», Le Potomak (1919).
Jean Cocteau est l’une des personnalités incontournables de la scène artistique et intellectuelle de la première moitié du XXe siècle. Avec une grande liberté, une certaine aisance et beaucoup d’élégance, il s’est illustré dans de nombreux domaines : la poésie, le roman, le théâtre, le cinéma, ou encore le dessin et la sculpture… Pour le spectacle vivant, on se souvient d’Antigone, d’Orphée, d’OEdipe-roi. Pour le cinéma, Le Sang d’un poète, La Belle et la Bête et Le Testament d’Orphée sont devenus des classiques. En
1918, Cocteau rencontre le jeune poète Raymond Radiguet qu’il encourage à écrire et qu’il met en relation avec les revues d’avant-garde pour que ses textes soient diffusés. Sa mort prématurée en 1923 précipite Cocteau dans la désolation et le chagrin, mais suscite rapidement chez lui un regain de créativité, mais tout particulièrement dans le champ du dessin. Afin de faire le deuil de son ami, Cocteau rejoint la Côte d’Azur et séjourne à l’hôtel Welcome de Villefranche-sur-Mer, près de Nice, pendant quelques semaines durant l’été 1924. Il y entreprend une série d’une trentaine d’autoportraits réunis sous le titre générique du Mystère de Jean l’Oiseleur, qui sont autant de variations graphiques sur le thème de son propre visage examiné dans un miroir alors qu’il est sous l’emprise de l’opium. Le poète décrit son projet dans la préface de l’ouvrage qui sera publié l’année suivante en phototypie : « Les trente planches qui suivent ne dénoncent aucune vanité. Le hasard d’une chambre d’hôtel a placé ma table devant l’armoire à glace. J’étais seul. Je cherchais les nombreuses manières de résoudre un visage ; or, comme depuis longtemps Édouard Champion me
demande une oeuvre à reproduire manuscrite et que je n’écris plus, j’ajoutai quelques notes en marge pour lui faire une surprise. » Bien qu’il multiplie les stratégies figuratives, pouvant le conduire dans une planche à assimiler ses traits à une constellation, Cocteau s’en tient à un tracé de base très précis et linéaire, à l’encre, qui indique simplement le contour de son visage mélancolique. Les fragments textuels renvoient à des sentences philosophiques, relatent ses états d’âme, et évoquent le souvenir de Radiguet. Il expérimente ainsi un nouveau moyen d’expression où le dessin et le poème sont placés au même rang, dans une lecture parallèle et simultanée, sans que l’un n’illustre l’autre.
Notre Autoportrait est directement lié au dessin n° 6 de l’ouvrage. Jean Cocteau a pris l’habitude de travailler avec des calques, en particulier pour ses autoportraits, afin de répéter à plusieurs reprises ses dessins en leur faisant simplement subir quelques variantes. Peu attaché à la notion d’original, il adresse des répliques dédicacées de la série à ses proches, et ce de 1924 à 1939 pour ce qui concerne le numéro 6. Une feuille est par exemple envoyée à Igor Stravinsky. Mais notre dessin est très proche d’une reprise de 1939 adressée au collectionneur Erich Chlomovitch (ill. 1) : les prunelles très larges, la direction du regard, les poches sous les yeux, les rides, ou encore le traitement de la chevelure, dont le volume se rapproche aussi beaucoup de l’original de 1924. Enfin, l’indice qui permet de dater approximativement le dessin est le type de papier utilisé : un papier à entête du café Haussmann, le restaurant dépendant de l’hôtel de luxe de style Art Déco Commodore que Cocteau fréquentait dans les années 1930. (G.P.)
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