Après une jeunesse dans sa Bresse natale auprès d’un père chapelier et d’une mère directrice de pensionnat, Chintreuil se rend à Paris en 1838 pour y devenir artiste. Employé chez un libraire, il y fait la connaissance de Jules Husson, jeune écrivain d’art bientôt connu sous le nom de Champfleury, avec lequel il noue une solide amitié. C’est dans le milieu artistique et cultivé que ce dernier lui présente que Chintreuil va trouver ses plus fidèles soutiens. Vers 1840 il fait une rencontre décisive en la personne de Corot, qui prend en main sa formation. Si l’élève assimile sa technique au cours de leçons sur le motif dans les environs de Paris, sa sensibilité le porte plus particulièrement à rendre les moments transitoires du jour et les transformations de l’air et de la lumière au gré des contingences météorologiques : ces phénomènes lui composent un répertoire poétique très sophistiqué en dépit de la banalité des lieux dans lesquels il les observe. Après plusieurs vaines candidatures, Chintreuil fait ses débuts au Salon en 1847. Si sa vision de la nature ne laisse personne indifférent, elle ne reçoit pas toujours l’agrément du jury et ne connaîtra de reconnaissance pleine et entière qu’à la fin des années 1860. Trop réservé et préoccupé de son art pour assurer la vente de ses tableaux, il les fait placer par des amis bienveillants, tels Béranger, Champfleury ou Dumas fils. Pour Frédéric Henriet, il est le « saint Jérôme du paysage », de ceux qui aiment la nature « jusqu’au renoncement, jusqu’à la pneumonie et les rhumatisme ! » De fait, ses trop longues séances en plein air par tous les temps ont aggravé sa phtisie et entraîné sa mort prématurée1.

 

Etude préparatoire aux Ruines au soleil couchant exposées par l’artiste au Salon de 1864 (n° 385), notre Prairie à Saint-Ouen cumule toutes les caractéristiques de l’optique de Chintreuil : lumière ambiguë du crépuscule, format très étiré en largeur, accentuant l’horizontalité monotone du paysage, point de vue abaissé. Les alignements d’arbres et le raccourci entre le tapis de verdure humide de l’avant-plan et le soleil dans le lointain parviennent à mettre en perspective ce lieu sans ombre ni relief. Mais entre cette esquisse aboutie et le tableau final une singulière transformation s’est opérée : l’espace s’est dilaté, l’horizon éloigné, les objets agrandis, la plaine est devenue vallée, la déclivité distinguant désormais un promontoire surmonté de ruines (absentes de notre étude) à gauche, et la prairie à droite. Cette métamorphose, qui s’est faite presque sans affecter la composition initiale, confère une dimension épique à un site dénué de grandeur. Le sentiment cosmique qui émerge de la circulation de l’air et du rapport entre ciel et terre, dans ce tableau comme dans l’œuvre de l’artiste en général, est l’originalité qui caractérise l’art de Chintreuil. Si certains critiques du Salon de 1864 ne goûtèrent, comme Edmond About, que médiocrement ce tableau2, les hyperboles de Léon Lagrange ont bien résumé la portée, dans l’art du paysage, l’invention dont il témoigne avec l’autre œuvre présentée la même année : « M. Chintreuil se donne pour thème “Un pré ; le soleil chasse le brouillard.” Ô triomphe de l’impression ! est-ce que cela se dessine ? […] Et les Ruines au soleil couchant, qui seraient mieux nommées l’invasion du soir par le crépuscule, y faut-il tant de malices ? Le pis est que M. Chintreuil réussit à nous intéresser à ces drames. Son pré ruisselle d’humidité, sa vallée étouffe dans l’ombre. Mais, à travers ces brouillards de ce nouveau Wagner, je vois poindre le paysage de l’avenir. Désormais l’art change d’idéal. […] le paysage de l’avenir arrivera à nous donner, au lieu du Passage de la mer rouge, le passage de l’aurore au jour et à la place de la Destruction de Sodome, la destruction des localités envahies par les valeurs3. » (M.K.)


 



Antoine Chintreuil, Ruines au soleil couchant, Salon de 1864

Huile sur toile, 105 x 215. Mâcon, musée des Ursulines

 

 

 

 

 

1 Voir Brumes et rosées. Paysages d’Antoine Chintreuil, 1814-1873, cat. exp. Bourg-en-Bresse, musée de Brou ; Pont-de-Vaux, musée Chintreuil, 2002 (Paris : Rmn, 2002).

 

 

Léo Lagrange, « Salon de 1864 », Gazette des Beaux-Arts, 1864, p. 15.

 

 

2 Pour un résumé sur la réception de Chintreuil au Salon de 1864 voir François Fossier, « La gloire discrète de Chintreuil », dans Brumes et rosées, op. cit., p. 23.

 

 

3 Léo Lagrange, « Salon de 1864 », Gazette des Beaux-Arts, XVII, juillet 1864, p. 15.

 

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