• ill. 1. Louis Cretey, L’Extase de saint Marin. Huile sur toile, 67 x 89 cm. Lyon, collection particulière.

    ill. 2. Louis Cretey, La Vision de saint Bruno. Huile sur toile, 69 x 80 cm. Paris, collection particulière.

 

Louis Cretey est une redécouverte récente. Deux raisons expliquent sa disparition du champ de l’histoire de l’art jusqu’à la fin du XXe siècle. La première est historique : la postérité des artistes provinciaux a souvent été compromise par leur éloignement de Paris sous la monarchie hypercentralisée d’Ancien Régime. Cretey a doublement oeuvré dans ce sens, en s’exilant en Italie et en restant à l’écart des réseaux d’artistes et de commanditaires français qui y résidaient. Mais le peintre n’agit pas plus qu’il ne peint comme tout le monde. Sa singularité artistique est la seconde raison de son effacement du panorama artistique du XVIIe siècle : oublieuse du dessin, ignorante de la perspective, peu soucieuse d’anatomie, nullement ancrée dans l’étude de la nature, étrangère en somme aux principes de base du savoir académique, sa manière hors norme est restée incomprise. Des accents génois ou vénitiens expliquent que ses tableaux se soient perdus sous des attributions à des contemporains transalpins tels Castiglione, Mola, Lyss ou Bencovich, à l’exception certes du noyau d’oeuvres bien identifiées conservées de longue date dans des collections publiques et dans les églises lyonnaises. Pierre Rosenberg, Lucie Galactéros-de Boissier et Gilles Chomer ont été les premiers à le réhabiliter1, aidés en cela par l’oeil de Michel Descours, qui depuis les années 1970 s’attachait à sauver ses oeuvres de l’oubli. L’exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon et le catalogue raisonné établi sous la direction de Pierre Rosenberg, avec Aude Gobet, en 2010, ont considérablement élargi le corpus de l’artiste et approfondi la connaissance de sa carrière, quoique de nombreuses zones d’ombre subsistent.

Né à Lyon avant 1638, d’un père peintre qui lui dispense sa première formation, ainsi qu’une éducation soignée à en juger par les lettres de sa main qui nous sont parvenues, Cretey partage sa vie entre Lyon et l’Italie. Signalé à Rome entre 1661 et 1663, de retour à Lyon en 1667, résidant à Parme en 1669, il s’établit à nouveau à Rome de 1671 jusqu’en 1682. Au cours de cette période, l’artiste s’attire la protection d’éminents mécènes, tels Giovanni Simone Boscoli, lieutenant général de l’Artillerie du duc de Parme, ou le cardinal Giuseppe Renato Imperiali à Rome. De retour à Lyon, il reçoit en 1683 la commande d’un vaste décor pour le réfectoire du monastère royal des Bénédictines de Saint-Pierre (actuel musée des Beaux-Arts) qui marque le début d’une activité intense et d’une incontestable réussite locale. De cet ensemble, le mieux documenté de son oeuvre à ce jour, cinq morceaux sont parvenus jusqu’à nous qui témoignent d’un projet ambitieux. La dernière mention du peintre fait état d’un ultime voyage à Rome entre 1700 et 1702, date après laquelle on perd sa trace.

Le Martyre de saint Sébastien a été situé par Pierre Rosenberg et Aude Gobet dans la période lyonnaise de l’artiste, entre 1680 et 1696, notamment par analogie formelle avec le Saint Guillaume d’Aquitaine de Québec, et, plus encore, par leur format et leur composition, avec L’Extase de saint Marin (ill. 1) et La Vision de saint Bruno2 (ill. 2). La diagonale du corps d’un saint gisant dans une posture extatique est commune à ces deux derniers tableaux et au Saint Sébastien ; les compositions avec saint Marin et saint Sébastien observent le même équilibre entre paysage et figure, ainsi qu’une même tonalité chromatique conditionnée par le plein jour dans lequel ils sont saisis. Saint Sébastien et saint Bruno sont tous deux enveloppés d’une gangue de drapés aux plis cassés très caractéristiques de l’artiste, qui se soucie moins qu’aucun autre de faire illusion, sacrifiant tout à l’expressivité. À cet égard, si l’expression de la douleur a déjà été bien observée, il faut souligner qu’il est peu de tableaux où Cretey se soit autant soucié de flatter l’oeil par le raffinement de sa palette – mais il est vrai que la disparition fréquente des glacis permet rarement d’apprécier cette qualité du peintre. Les carnations aux tons crémeux et rosés du saint, la distribution de l’ocre, du vert et du rouge autour de sa figure, contrastant avec le bleu d’un ciel aux nuages étonnamment abstraits, signalent un coloriste très brillant, capable de peindre un tableau d’agrément. La substitution d’angelots joufflus aux personnages traditionnellement associés à l’histoire (les bourreaux, sainte Irène) confirme la volonté d’inspirer une tendre déploration, l’exécution vigoureuse préservant cependant l’image de toute affectation. (M.K.)

 

 

 

 

1. Gilles Chomer, Lucie Galactéros-de Boissier, Pierre Rosenberg, « Pierre-Louis Cretey :
le plus grand peintre lyonnais de son siècle ? », Revue de l’Art, 1988, p. 19–38.
2. Voir P. Rosenberg et A. Henry-Gobet, 2010 (voir bibliographie et exposition), n° P. 25, 26 et 42.

 

 

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