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(Lyon, vers 1635 — Rome ou France, après 1702)
Le Christ guérissant un possédé
Vers 1682-84
Huile sur toile
72 x 91.5 cm
Bibliographie
Inédit.
Depuis l’article publié dans la Revue de l'Art (1988) et l'exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon (2010)[1], l’œuvre de Louis Cretey s’étoffe régulièrement. Inédite, notre peinture associe un premier plan continu de figures enchâssées à un arrière-plan de références architecturales, de la pyramide de Cestius à une tour carrée du mur d’Aurélien, de l’Aqua Marcia au dôme du Panthéon que jouxte le fronton percé d’un oculus de l’ancienne basilique Saint-Pierre. Cette barrière d’édifices, qui bouche l’horizon et ramène l’attention du spectateur sur le premier plan, le peintre l’emploie comme un front de scène pour ses figures. Debout et souverain, le Christ exorcise le démon. Son buste et sa tête s’insèrent dans la triangulation de la pyramide, identifiant la purification divine au chiffre trinitaire. Derrière lui, les apôtres associés à l’arbre de vie observent avec stupéfaction les contorsions du possédé au corps frappé par la lumière symbolique de la rédemption, qui inonde aussi le visage de la jeune mère, en signe de grâce divine. Aux structures verticales bouchant l’arrière-plan gauche répondent, à droite, l’ouverture sur le ciel et le dégagement du deuxième plan qui magnifient la coupole aplatie du Panthéon, évocation possible de sa reconstitution par Joachim von Sandrart dans sa Teutsche Academie en 1675-79.
Ces années précèdent d’ailleurs de peu l’exécution de notre tableau, ce que corroborent les concordances stylistiques. Les belles torsions du groupe des deux assistants maîtrisant le possédé répondent au mouvement des deux figures du second plan de L’Ivresse de Noé (cat. 02) datée d’après 1680, soit du premier retour à Lyon. Peu avant, quand il est encore à Rome, Cretey affectionne le dialogue des faciès réguliers (de la jeune mère notamment) et des faciès dysmorphiques, aux yeux exorbités, pincés ou totalement bestialisés comme celui du possédé. Les peintures sur le thème de l’éducation d’Achille (Cat. 2010, P. 14 & P. 16) mettait alors à l’honneur la douceur féminine et enfantine quand les dessins de martyres (id. D. 02-03) ou le Saint Pierre pénitent de Dresde (P. 18) attestaient la fascination du peintre pour les déformations horrifiques du visage.
La célèbre Anima dannata de Gian Lorenzo Bernini (1619, Rome, Palazzo di Spagna) se présente à cet égard comme une source explicite de Cretey, qu’il fusionne avec la Testa di Seneca (Roma, Museo Nazionale del Palazzo di Venezia) de Guido Reni signalée par Carlo Cesare Malvasia dans sa Felsina pittrice (Bologna 1678)[2]. Inspiré par celle-ci, le motif de la tête d’une sublime laideur est présente, dès les premières années romaines, dans le Christ déposé après la Flagellation (Marseille, musée des Beaux-Arts, cat. P. 06). On le retrouve au centre d’un tableau du retour à Lyon, la Déborah exhortant Barak à combattre les armées de Sisara (Louvre, déposé au musée des Beaux-Arts de Lyon, Cat. P. 29). Datable vers 1682-83, celui-ci présente une composition extrêmement proche de notre scène d’exorcisme, qui fut peut-être commandée à Cretey un peu avant, pendant ou après l’exécution virtuose du décor du réfectoire du monastère royal des bénédictines de Saint-Pierre (1682-84, Cat. 2003, P. 35).
Christophe Henry
[1] G. Chomer, L. Galactéros de Boissier, P. Rosenberg, « Pierre-Louis Cretey : le plus grand peintre lyonnais de son siècle ? », Revue de l'Art, 1988, n°82, p. 19-38 ; A. Gobet, P. Rosenberg, Louis Cretey : Un visionnaire entre Lyon et Rome, Lyon, musée des Beaux-Arts, 2010, ici abrégé en Cat. 2010.
[2] Voir : Stefano Pierguidi, « Il "Seneca" di Guido Reni e il dibattito sul primato tra Naturale e Antico », Strenna storica bolognese, 2015, p. 363-377.
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