Lire la suite
(Lyon, vers 1635 — Rome ou France, après 1702)
Le jeune Tobias rendant la vue à son père
Vers ou après 1680
Huile sur toile
95 x 135 cm
Historique
Lyon, collection particulière.
Bibliographie
G. Chomer, L. Galactéros-de Boissier, P. Rosenberg, « Pierre Louis Cretey : le plus grand peintre lyonnais de son siècle? », Revue de l'art, 1988, p. 24 (fig.17), 28, 38 (note 64) ; Pierre Rosenberg and Aude Gobet, Louis Cretey. Un visionnaire entre Lyon et Rome, cat. exp., Lyon, Musée des beaux-arts, 22 Octobre 2010-24 Janvier 2011, Paris/Lyon, Somogy/Musée des beaux-arts de Lyon, 2010, Cat. P.21, p. 116, repr. p. 117.
Exposition
Louis Cretey. Un visionnaire entre Lyon et Rome, Lyon, Musée des beaux-arts, 22 Octobre 2010-24 Janvier 2011.
Très probable pendant de la L'Ivresse de Noé, Le jeune Tobias rendant la vue à son père figure un exemple de piété filiale tout à l’inverse de l’attitude de Cham dans L’ivresse de Noé. Aux errances morales de la Genèse s’oppose ici la relation sacrée et la figure fusionnelle que père et fils composent dans le Livre de Tobie. Tobit le père y narre sa déportation à Ninive avec sa femme Anne, ainsi que l’étrange aveuglement causé par des fientes d’oiseaux dont il fut victime lors d’une nuit chaude qu’il passa sous le ciel, le visage découvert. Dépêchant son fils Tobie auprès de son parent Gabaël qui conservait un pécule commun – c’était aussi le père de Sarra qu’habitait un démon causant la mort de ses fiancés –, Tobith cherche à Tobias un guide pour se rendre en Médie. C’est l’archange Raphaël qui se présente et conduit le jeune homme, extrayant d’un gros poisson le cœur et la foi pour exorciser Sarra ainsi que le fiel pour soigner Tobith. Le mariage de Tobias et Sarra est l’occasion d’une fête de quatorze jours au terme desquels le jeune homme retourne à Ninive retrouver ses parents et soigner son père. La scène que représente Cretey et celle qui clôt le Livre quand, selon la recommandation de l’archange, Tobias « Étale sur [les yeux de Tobith] le fiel du poisson ; le remède provoquera la contraction des yeux et en détachera le voile blanchâtre. Ton père retrouvera la vue et verra la lumière. » Conformément à une loi de la peinture héritée de Simonide et Horace et très appréciée au XVIIe siècle, le peintre condense toutefois dans un seul instant trois épisodes. Au centre sont rassemblés, autour du corps de Tobith en cours de guérison, les figures de Tobias, Raphaël, Anne et Sarra, toutes s’inscrivant dans une composition pentagonale. Sarra est bien présente, alors que le texte précise que Tobith une fois guérie se précipite rejoindre Sarra à la porte de la ville. Un autre détail suggère une modification délibérée de la temporalité : le portefaix accompagné d’un enfant disposé en bas à droite renvoie à l’épisode de la fête de Chavouot (ch. 2), lors de laquelle Tobith est remercié de la miséricorde qu’il pratique à l’égard des Juifs exilés par des offrandes dont il veut faire profiter les plus démunis. Il ordonne ainsi à Tobias encore enfant « Va, mon enfant, essaie de trouver parmi nos frères déportés à Ninive un pauvre qui se souvienne de Dieu de tout son cœur ; amène-le pour qu’il partage mon repas. » Cet épisode, marqué par la découverte de l’assassinat de l’un des leurs, précède immédiatement son aveuglement ; les deux figures n’en constituent pas moins une référence à la parabole du Serviteur revenant des champs (Luc, ch. 17, 7-10), habilement mis en relation par le peintre avec le Livre de Tobie. Comme bien souvent chez Louis Cretey, les références savantes sont subtiles mais ne s’imposent par forcément à la lecture du tableau, qui conserve son fonds de subtilités chromatiques et graphiques propres. La figure de Tobith au pied gauche levé est magistrale par la souplesse nerveuse et romaine de son drapé, comme les visages figurés dans une plongée de trois-quarts énigmatique, qui sculpte l’arcade sourcilière comme un modèle de sculpteur, allongeant quelquefois le nez de façon expressive. Le paysage de nuages blancs, gris et noirs qui forme une percée cosmique dans le coin supérieur gauche confère lui aussi une picturalité visionnaire à la représentation de l’architecture de Ninive entièrement reconstituée par le peintre, qui devait penser, comme cela était acquis jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, que le Livre de Tobie datait du VIIIe siècle avant notre ère. L’adjonction d’un obélisque aux terrasses superposées de volumes circulaire et cubiques est sans doute inspirée par les illustrations célèbres que Jacob Spon publie dans ses Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon en 1683 – date d’ailleurs très proche de l’exécution de notre tableau.
Christophe Henry
Réduire
Lire la suite