Bien qu’agréablement installée à Bagneux, village encore rural, la famille de Janmot décide en 1865 d’aller en villégiature à proximité des stations balnéaires à la mode. Villerville, où est localisé le dessin, se trouve sur la zone côtière de la Mer du Nord, entre Trouville et Honfleur. Un dessin localisé et daté atteste la présence de l’artiste dans cette cité en 1865 1. Cette femme de profil pourrait représenter l’épouse de l’artiste, aux traits déjà fortement marqués par la maladie. La période estivale de 1865 se situe pour l’artiste entre deux grands chagrins : en août 1864, les décors, commandés à Janmot pour l’église Saint-Augustin de Paris, sont refusés pour cause de disparité avec les œuvres de Bouguereau. En septembre 1865, Janmot dessine Henry mort, son fils, âgé de quelques mois 2, tant désiré après les trois filles aînées. Le chagrin qu’exprime Janmot est poignant.

 

Tandis qu’il trace le paysage de Villerville est accrochée sur les cimaises du Salon parisien de 1865 une peinture d’une extrême violence, Un vivant attaché à un cadavre, sorte de variante du Supplice de Mézence du Poème de l’âme, aux couleurs virulentes. À ce cri d’un désespoir exacerbé, le Paysage au cheval de Villerville semble donner une réponse inattendue et apaisante. Il marque aussi un retour aux paysages en quête de sites plus marqués par la poésie que par le pittoresque, comme le jeune artiste en recherchait dans le Bugey. Sur le site côtier de Villerville, c’est la terre plutôt que la mer, l’arbre plutôt que le rivage, que choisit le peintre. Deux ans plus tard, Janmot se révèle en tant que paysagiste à part entière, comme son ami Paul Flandrin, avec Virgile se promenant dans la forêt un soir d’orage (exposé au Salon de 1869, n° 1251) 3.

 

 

Le dessin, signé à Villerville, imposant, a été remarqué et acquis par la famille Thiollier. Il est en effet singulier dans l’œuvre dessiné de Janmot qui utilise rarement le papier teinté. L’azur atténué du support favorise l’expression d’un souffle poétique qui parcourt ces bosquets. La naïveté presque enfantine de l’anatomie du cheval contraste avec le graphisme hardi, autoritaire et vigoureux des arbres. L’identification de la construction horizontale est difficile. Un moutonnement de formes occupe un premier plan, dynamique comme une eau courante ; tomberait-elle au pied d’un barrage de retenue ? Qu’importe ! Ce tracé inspiré exprime une vie intense qui se déploie dans le grand espace d’une liberté, forte et chaotique comme un retour à la vie.

 

 

 

 

Élisabeth Hardouin-Fugier


1. Profil de Villerville, 1865, la mention abrégée du mois n’est guère lisible. Voir É. Hardouin-Fugier, Louis Janmot, thèse de 3e cycle, Université de Lyon, 1969, II : Catalogue des dessins, pastels, aquarelles, dessins à la plume, n° 401.

2. Idem, n° 394.

3. Voir É. Hardouin-Fugier, « Janmot et le paysage », dans Paysages de Dughet à Caillebotte, cat. exp. Lyon, galerie Michel Descours, 2011, p. 61-69.

 

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