Au retour de son séjour romain, fin 1836, Janmot est déjà un portraitiste confirmé, en particulier depuis les portraits à l’huile des parents de son ami Paul Brac de la Perrière, où le père a posé quatre ou cinq séances de cinq heures chacune, pour un résultat ressemblant et bien peint. Certains dessins préparatoires pour les figures féminines de ses grands tableaux, près d’être terminés autour de 1840, tels la Déploration du Christ mort, et la Résurrection du fils de la veuve de Naïm, dépassent le simple croquis et plusieurs visages féminins au crayon sont d’un dessin très poussé. Ce dessin pour sainte Cécile s’en distingue par une spontanéité qui n’exclut pas la justesse. La technique des deux crayons sur fond légèrement teinté avec des rehauts de blanc rapides et très justes apparaît rarement dans l’oeuvre de Janmot. Parmi les études préparatoires des deux grands tableaux, Janmot utilise cette technique en particulier pour le saint Jean qui figure aux pieds du Christ mort. Des esquisses pour ce tableau figurent
sur le catalogue de la vente posthume de Janmot (1893), mais on ne les connaît pas.

 

À Paris, les amis font de la musique ensemble, Paul Brac de la Perrière y dispose depuis peu d’un piano et Janmot, en janvier 1835, lui rapporte de Lyon son cornet à piston, soigneusement emballé ! Janmot est un violoncelliste épisodique, mais fervent. C’est peut-être dans ces orchestres d’amateurs que le peintre rencontre M. Laville, un commanditaire dont le nom n’apparaît dans aucune des quelque six cents lettres étalées sur plus d’un demisiècle1. La patronne des musiciens rappelle à l’artiste sa soeur défunte nommée Cécile. Le tableau à l’huile, exposé à Paris en 1841 (n° 1040) et à Lyon en 1843 (n° 224), n’est pas connu. Plusieurs lavis sont repérés. Un tableau ovale sur le même sujet a été acquis par l’État en 1869 (Cnap, déposé au musée des Beaux-Arts de Lyon) : on voit le profil gauche de la sainte, jouant sur une grande harpe, derrière elle des anges complètent le concert de leurs divers instruments. Cette vision céleste est aux antipodes de l’existence de Janmot, déjà très difficile, mais précède les drames de 1870, la mort de sa femme, des dominicains d’Arcueil et le pillage de sa maison de Bagneux par les Prussiens. Une autre variante, à la plume et au lavis de sépia rehaussé de blanc, montre la sainte presque de face. Elle tient un texte de sa main gauche, serrée contre sa poitrine, de la main droite, elle joue sur un clavier d’orgue. Au fond, une baie s’ouvre sur un paysage, qu’encadrent deux anges accoudés à la balustrade2. On ne sait laquelle de ces oeuvres est exposée au Salon de Lyon de 1843 où la malveillance de Jane Dubuisson s’exerce une fois de plus : « La sainte Cécile est si haut placée que nous ne pouvons parler que de la laideur du modèle, cette figure étroite, qui voudrait être inspirée et qui n’est qu’ennuyée, n’a rien d’une sainte. » En revanche, Clair Tisseur garde le très vif souvenir d’une toile parfaitement exécutée : « La sainte, au premier plan à droite, joue à l’harmonium. Au fond, une architecture d’arcatures rondes à travers lesquelles passent des anges. Les personnages sont d’un dessin précis et précieux, tendu, un peu mièvre. Une étrangeté et une poésie certaines se dégagent de l’oeuvre3. »
 

Janmot n’est alors pas encore guéri d’une pleurésie, il passe sa convalescence à Florence, venant d’Hyères, où une bannière lui fournit l’occasion de peindre un portrait féminin en pied. L’héroïne du Poème de l’Âme empruntera à cette « bannière d’Hyères » un type féminin éthéré très proche. Le dessin de 1839 ouvre magnifiquement le domaine du portrait féminin d’un grand avenir pour l’artiste.
 

Élisabeth Hardouin-Fugier

 

 

 

 

1. Correspondance publiée par Hervé de Christen en 2016.
2. Passé dans le commerce en juin 1972, voir É. Hardouin-Fugier, Le Poème de l’âme par Janmot, thèse de doctorat, Université de Lyon, 1977, n° 84.
3. Cités par Durafort, « L. Janmot », Revue du siècle, 1893, n° 69, p. 70; voir Élisabeth Hardouin-Fugier et Étienne Grafe, Le beau est la splendeur du Vrai. Autour de Louis Janmot, 1814-1892. OEuvres lyonnaises du XIXe siècle, cat. exp. polycopié, Lyon, Centenaire
des Facultés catholiques de Lyon, 1977, n° 12.

 

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