Jean Raine a côtoyé les surréalistes belges dès 1943. Il reconnaît le surréalisme comme une source intellectuelle et esthétique intarissable, qui n’a jamais cessé de nourrir ses activités de peintre et de poète, tout en refusant que son oeuvre soit enfermée dans un cadre rigide et stéréotypé. C’est d’ailleurs pour éviter ce piège que le mouvement CoBrA, auquel Jean Raine a contribué par des expositions et par la revue du même nom, a décidé sa propre mort en 1951 après seulement trois ans d’existence : « Nous n’avons pas voulu qu’il dure. Nous avons mis une fin brutale à ce mouvement pour qu’il ne dégénère pas en académisme. Mais nous savions très bien qu’il allait travailler en profondeur et continuer à inspirer, après sa fin officielle, de plus en plus d’artistes1

Durant les années 1950, Jean Raine est avant tout impliqué dans des projets cinématographiques. Il travaille avec Henri Langlois à la Cinémathèque française et intervient sur des films à différents niveaux : de l’écriture de commentaires à la réalisation, en passant par le découpage ou l’organisation de festivals. Sa collaboration artistique pour le documentaire de Luc de Heusch sur René Magritte et l’écriture du poème-commentaire de l’unique film CoBrA (Perséphone) figurent certainement parmi ses plus importantes implications dans ce domaine. En 1951, en parallèle de la dernière exposition internationale CoBrA, à Liège, il organise le Second Festival du film expérimental et abstrait et projette pour l’une des premières fois en Europe Dreams That Money Can Buy de Hans Richter ou les films courts de Norman Mc Laren.

Les arts plastiques commencent à prendre progressivement plus d’importance dans les recherches de Jean Raine à partir de la fin des années 1950. Il réalise une centaine de peintures en utilisant du cirage, des colorants alimentaires, de l’encre, des crayons de couleur, et les fonds de tubes de peinture de Pierre Alechinsky. Au début des années 1960, il écrit Journal d’un délirium, quelques mois avant d’être atteint véritablement par ce mal qui altère fortement sa perception des couleurs. Il réalise donc de grandes encres noires sur du papier de coupe avant de renouer avec des chromatismes tranchés durant son séjour américain (1966 -1968).

Par l’intermédiaire de Théodore Koenig, directeur de la revue Phantomas, Sanky et Jean découvrent Calice sur la côte Ligure, commune proche de Savone où s’installent de nombreux artistes, ainsi que la galerie Il Punto. Ils décident d’y acheter une maison en 1971 et y passent désormais tous leurs étés. Eaux chancelantes fait partie de la toute première série d’oeuvres peintes en Italie pendant l’été 1971. Les paysages méditerranéens et la lumière du Sud transforment radicalement son rapport aux couleurs qui deviennent le sujet même de la peinture. Jean Raine intègre à sa palette des couleurs pastel inédites : des bleus, des verts, ou des ocres extrêmement dilués. Il lui arrivait même de verser directement de l’eau sur le papier pour parvenir à des teintes plus transparentes. Les tonalités chromatiques et la fluidité de la matière font écho aux représentations des milieux aquatiques de Claude Monet, qui a donné son nom à la série, mais le traitement formel d’Eaux chancelantes peut aussi être rapproché de peintures de Joan Mitchell ou d’artistes revendiquant l’héritage du peintre des Nymphéas. Simultanément, il abandonne définitivement les cernes noirs, qui définissaient précédemment les figures, au profit d’un recouvrement all over de la surface picturale dans lequel le graphisme est totalement noyé dans la couleur. Ayant découvert l’abstraction lyrique et l’expressionnisme américains lors de son séjour en Californie, Jean Raine exploite certains principes observés outre-Atlantique et remet par exemple en question la spatialisation du motif et le point de vue privilégié. Notre peinture a été exposée en 1974 à la New Smith Gallery (Bruxelles) tenue par Richard Lucas que Jean Raine a rencontré à Calice Ligure. (G.P.)

 

 

1. Jean Raine, Scalpel de l’indécence, Vénissieux, Parole d’Aube, 1994, p. 18.

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