« Peindre n’est peut-être que l’expression de désirs assassins. […] Chaque peinture est un bateau naufragé qu’on a conquis sabre au clair, au prix du sang versé. Les vrais artistes sont des pirates, des outlaws toujours prêts pour une aventure qui peut finir bien ou très mal… »
Pour marquer la première exposition Jean Raine organisée à la galerie Michel Descours, un catalogue de 64 pages a été édité en juin 2013. Il comprend les reproductions de 48 œuvres réalisées entre 1946 et 1981, éclairées par des citations de Jean Raine, un essai de Gwilherm Perthuis qui situe quelques enjeux clefs du travail de Jean Raine et un texte littéraire de l'écrivain Patrick Laupin.
EXTRAITS DE L'ESSAI DE GWILHERM PERTHUIS :
L’alphabet zoomorphe de Jean Raine synthétise cette intrication entre le visible et le verbal, cette tension entre ce qui relève de l’image ou de l’idée. Des figures curieuses ou fantastiques sont nichées dans la graphie des lettres, à la manière des pages de titre de la revue Cobra où les caractères prennent la forme de serpents ou d’animaux (Jean Raine publie plusieurs articles dans ce périodique). Le bestiaire tient une place prépondérante dans l’esthétique du groupe d’avant-garde actif entre 1948 et 1951 et demeura, après sa dissolution, un des thèmes distinctifs des artistes qui le composèrent. La spontanéité et la liberté du geste ainsi que l’imaginaire peuplé de figures hybrides mi humaines / mi animales qui caractérisaient les premiers travaux de Jean Raine sont à mettre en relation avec les productions de Pierre Alechinsky des années 1950. Toutefois, il parvînt à ne pas tomber dans le piège de l’académisme et il poursuivit un parcours spiralé singulier en ne privilégiant jamais un mode d’expression sur un autre : « Je suis dans un état d'insatisfaction fondamentale, quand j'écris des poèmes, l'image me manque. Quand je peins, c'est le mot qui me manque. Créer n'est pas un plaisir mais une nécessité profonde »
La première partie de la carrière de Jean Raine est principalement marquée par des collaborations cinématographiques avec des personnalités influentes parisiennes et bruxelloises. En 1959, il est conseiller artistique pour le documentaire réalisé par Luc de Heusch et Jacques Delcorde sur l’œuvre de René Magritte. Sous titré « la leçon de choses », le film explique la démarche du peintre surréaliste et développe une réflexion sur le lien arbitraire entre l’objet, sa représentation et sa dénomination. Durant les années 1950, Jean Raine multiplie les collaborations avec Henri Storck (1907-1999), l’un des pionniers du film sur l’art, et avec Luc de Heusch (1927-2012), le Jean Rouch belge, qui se spécialise dans les documentaires ethnographiques oui anthropologiques. Ce dernier réalise sous le pseudonyme Luc Zangrie l’unique film CoBrA (Perséphone, 1951) accompagné du commentaire-poème de Jean Raine. La même année, Raine organise le Second Festival du film expérimental et abstrait dans la cadre de l’Exposition internationale d’Art expérimental (dernière exposition du groupe CoBrA). Il y présente les travaux sur les formes abstraites du suédois Vicking Eggeling, les films de Hans Richter dont Dreams That Money Can Buy présenté pour la première fois en Europe dans ce contexte, puis les films d’animation abstraits d’Oskar Fischinger (à partir de pâte à modeler). Par ailleurs, il réunit une sélection de films réalisés sans l’usage de la caméra, par intervention directe sur la pellicule (peinte, grattée, collée…) : les productions de Norman Mc Laren (1914-1987) ou du néo-zélandais Len Lye (1901-1980) marquèrent les esprits. Jean Raine a été sensibilisé au medium cinématographique au contact d’Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque française, qu’il rencontre en 1946 pendant l’organisation d’une exposition à Bruxelles et qu’il rejoindra quelques mois plus tard à Paris pour collaborer à ses travaux.
« La toile est l’espace dans lequel j’espère mettre le maximum de choses pour combler le vide, le gouffre au-dessous du fil sur lequel on danse, comme Benjamin Fondane l’a écrit dans Baudelaire ou l’expérience du gouffre. La toile est l’espace que j’espère et que je remplis peut-être quelquefois beaucoup trop densément. »
Voir la biographie de Jean Raine
Édition : Gwilherm Perthuis
Auteurs : Patrick Laupin et Gwilherm Perthuis
Relecture : Marie-Claude Schoendorff
Conception graphique : Florence Roller et Jérôme Séjourné, atelier Perluette
Typographie : Basetica, de Mathieu Cortat, Nonpareille
Photographies : Didier Michalet
Photogravure : Frédéric Basset, Touch and Go
Impression : Chirat, Saint-Just-la-Pendue (Loire)
Tirage : 700 exemplaires
Papier : Olin regular extra blanc 300 g (couverture) et 120 g
64 pages - 48 reproductions - 15 euros