Formé par son cousin Jean-Pierre Saint-Ours, seul peintre d’histoire helvétique de renommée internationale à la fin du XVIIIe siècle, Constant Vaucher a pourtant été l’un des artistes les plus dignes d’intérêt à Genève autour de 1800. Il doit à une mort précoce et une oeuvre peinte très restreinte d’être à peu près inconnu en dehors de sa patrie. Né à Genève dans une famille d’artisans d’art éclairée, il étudie à l’École de dessin de la Société des Arts de Genève avant de rejoindre Saint-Ours à Rome en 1782. Élève de Vien à Paris et Prix de Rome de 1780, ce dernier s’y est installé à ses frais, n’ayant pu être admis au nombre des pensionnaires en raison de sa nationalité et de sa confession protestante. Il n’en est pas moins considéré comme français dans le milieu cosmopolite romain, et c’est à travers son expérience et son réseau que Vaucher assimile l’esthétique du nouveau classicisme français. Dès 1785 (il n’a que dix-sept ans) il se signale en remportant le concours de peinture historique de l’Académie de Parme, dont le rayonnement, depuis sa création en 1760, attire les jeunes talents européens venus dans la péninsule pour lancer leur carrière, tels Goya, Sablet, ou Pêcheux. Son tableau d’Alexandre et son médecin Philippe (Parme, Galleria Nazionale) porte l’empreinte du néo-poussinisme que cultivent les pensionnaires de l’Académie de France et que David vient de porter à un haut degré d’énergie dans Le Serment des Horaces, exposé à Rome au printemps de la même année.


Il n’en continue pas moins les années suivantes d’étudier les antiques et les grands maîtres avec une rare exigence ; exécutées aux trois crayons sur des feuilles de grand format, finies avec un grand soin, ses copies annoncent l’importance que le dessin va prendre dans sa production. Au premier Salon de la Société des Arts de Genève, en 1789, et en l’absence de Saint-Ours qui n’y expose pas, Vaucher s’impose comme le premier espoir genevois dans le grand genre. Cette reconnaissance lui vaut d’être nommé directeur de l’Académie d’après nature de la Société des Arts en 1793, poste cependant supprimé trois ans plus tard faute de ressources. Le contexte économique, guère plus favorable aux arts à Genève qu’à Paris durant les décennies révolutionnaire et impériale, condamne l’artiste à la précarité et met un terme prématuré à sa carrière de peintre d’histoire. On ne lui connaît aucune œuvre dans ce genre au-delà de 1798-1799, et les portraits peints restent d’une grande rareté. Un état dépressif et une faible santé expliquent enfin l’abandon de la peinture au profit du dessin(1).


Le Portrait d’une femme et d’une enfant tenant une colombe n’en est que plus précieux. Sans équivalent dans l’oeuvre de Vaucher aujourd’hui connu, il ne donne en rien l’idée d’un peintre diminué et démontre au contraire, dans l’art de jouer avec le format comme dans le soin de l’exécution, un bonheur évident. Le thème plastique de la courbe, par ailleurs exploité la même année dans le portrait dessiné de la famille Chaponnière(2), y est cultivé jusque dans les boucles des chevelures. La manière lisse et sculpturale, qui est celle d’un artiste formé dans le culte de la statuaire antique, anticipe les portraits stylisés de l’Allemand Gottlieb Schick (Heinrike Dannecker, Wilhelmine Cotta, 1802, Stuttgart, Staatgalerie). La séparation introduite par l’occulus feint, visant à différencier l’espace des personnages de celui du spectateur, le regard médusé de l’enfant, la colombe symbole de pureté et d’innocence, la nuit bleue qui les environne, confèrent à l’image une irréalité qui trahit l’intelligence poétique de l’artiste.


(M.K.)


1. Les éléments biographiques de cette notice sont empruntés à Anne de Herdt, « Dessins de Constantin Vaucher (1768-1814), un artiste à découvrir », Genava, XLI, 1993, p. 1-14.
2. Pierre noire, sanguine, craie blanche, rehauts de lavis, gouache bleue, 72,5 x 60,5 cm, collection particulière, voir ibid., fig. 12, p. 9.

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