• Ill. 1 : Francesco Cairo, Saint Sébastien soigné par Irène, vers 1635, huile sur toile, 68 x 84 cm, Tours, musée des Beaux-Arts.

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Signé et daté de 1618, Saint Sébastien soigné par Irène est probablement le premier tableau de la carrière espagnole de Cornelis de Beer. Si cet artiste oublié a laissé de nombreuses traces dans les archives espagnoles à partir de son installation à Madrid la même année (1), notre connaissance de sa formation et de ses débuts à Utrecht, sa ville natale, est quasiment nulle : on en ignore tout hormis sa date de naissance, découverte en 2010 (2), et les noms de ses maîtres supposés, Abraham Bloemaert et Joachim Wtewael. Quoique le Saint Sébastien atteste une familiarité avec le caravagisme, le nombre de ses oeuvres antérieures à la période madrilène aujourd’hui connues est si insignifiant qu’il ne permet pas de postuler un éventuel voyage à Rome, où il aurait pu, tel Gérard Seghers au cours de la même décennie, nouer des liens avec la communauté ibérique et former le projet d’aller chercher fortune en Espagne.

La stratégie commerciale que le peintre d’Utrecht met en place à Madrid ne trahit pas davantage de patronage aristocratique, à l’inverse de Seghers. Si Don Bartolomé de Anaya Villanueva, un secrétaire du roi, lui loue une maison, on ne lui connaît pas de soutien à la cour, et les activités qu’il cumule témoignent d’un parcours indépendant, puisque De Beer fait à la fois oeuvre d’expert en peinture et d’éditeur d’estampes. Documentée de 1627 à 1642, la première de ces activités le conduit à faire l’estimation des collections d’art de personnages éminents lors de leur inventaire après décès, signe d’une reconnaissance professionnelle autant que sociale : font appel à ses services les familles de Don Antonio Ponce de Santa Cruz, médecin de la chambre du roi (1638), de Flavio Ati, ambassadeur du duc de Parme (1639), de Don Juan Carlos Schönburg, ambassadeur du Saint-Empire (1640). Parallèlement, De Beer commercialise des estampes, des images de dévotion principalement, fruit d’associations avec des graveurs tant espagnols que flamands, tels Juan de Noort, Pedro Rodríguez, Pedro Perret, ainsi qu’avec sa fille, Maria Eugenia
de Beer, élève du dernier.

Le séjour qu’il effectue à Murcie vers 1640-1645, semble avoir été plus propice à la pratique de son art. Si le Triomphe du Sacrement peint pour l’église du couvent des capucins de Murcie, en 1648, jadis loué par Ceán Bermúdez pour son « coloris joyeux et frais et [sa] bonne imitation de la nature (3) », est aujourd’hui perdu, l’église San Patricio de Lorca conserve toujours de sa main un cycle composé du Sacrifice d’Isaac, de La Mort d’Abel, de Dieu bénissant Noé et ses enfants à la sortie de l’Arche, de La Tentation de Job et de David et les trois jours de peste sur Israël. L’absence de reproductions de qualité rend néanmoins toute appréciation de ces oeuvres impossible (4).

Les noms des deux maîtres qu’on attribue à De Beer trouvent un écho dans Saint Sébastien soigné par Irène : la posture contrainte du corps, la coiffe extravagante de la sainte, les accents colorés dans le tronc d’arbre sont des traces résiduelles laissées par l’exemple maniériste de Wtewael, tandis que l’imitation naturaliste du corps témoigne d’une assimilation de la leçon caravagesque de Bloemaert. Il est également tentant d’établir une analogie en aval avec le tableau postérieur de Francesco Cairo (1607-1665), aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Tours (ill. 1). L’inclinaison de la tête et le contour du torse, presque exactement similaires, invitent à se demander si le peintre lombard n’aurait pas rencontré dans sa jeunesse le tableau nordique, lequel l’aurait aidé à composer sa propre version du sujet en le tirant vers le ténébrisme. L’ignorance dans laquelle nous sommes du parcours du Saint Sébastien de De Beer (5) autorise à voir dans cette analogie l’indice d’un possible séjour du peintre en italie. Mais une telle projection induirait une exécution immédiatement antérieure à l’installation du peintre à Madrid. Un second exemplaire de cette composition, non signé ni daté mais vraisemblablement autographe (6), est conservé à l’Academia de Bellas Artes de San Fernando. (M.K.)

 

 

1. La découverte d’un engagement de sa main à payer la somme de 7 000 reales pour la location d’une maison sise Carrère de San Jeronimo, en 1622, avait conduit José Luis Barrio Moya à situer son installation à Madrid à cette date (voir son article « Las pinturas de Cornelio de Beer en la iglesia de San Patricio de Lorca y algunas noticias sobre el artista », Murgetana, nº 102, 2000, p. 9-25 (p. 11). Mais d’après la fiche biographique de l’artiste établie par le Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie (RKD), des recherches de Marián Kruijer attesteraient sa présence dans la capitale ibérique dès 1618 (email de M. Kruijer du 9 juin 2010).
2. Email de Marián Kruijer au RKD, 9 juin 2010.
3. Juan Augustin Ceán Bermúdez, Diccionario histórico de los más ilustres profesores de las Bellas Artes en España, Madrid, 1800, I, p. 123.
4. Manuel Muñoz Clares, « La bienaventuranza del justo (Una genealogía de San José en cinco lienzos de Cornelio de Beer) », Murgetana, n° 80, 1990, p. 15-28.
5. L’oeuvre n’est connue que depuis 1996, voir vente à Londres, Christie’s, 13 décembre 1996, lot 257.
6. Huile sur toile, 107 x 162 cm, donnée au XIXe siècle par le marquis Molins. Voir Real Academia de Bellas Artes de San Fernando. Guía del Museo, Madrid, 2012, n° 37, p. 87, repr. (notice par Mercedes González de Amezúa). Resté anonyme depuis son entrée au musée, il a pu être attribué à De Beer lors de la réapparition de son modèle.

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