• Ill. 1 : Pierre-Alexandre Wille, Giost, adjudant général de la force armée parisienne, 1794, crayon noir, sanguine et rehauts de craie blanche, Paris, musée Carnavalet.

Fils aîné de Johann Georg Wille, célèbre graveur d’origine allemande établi à Paris, Pierre-Alexandre se forme d’abord à la peinture auprès de Jean-Baptiste Greuze, un ami intime de son père, dès 1761, puis poursuit son apprentissage avec Joseph-Marie Vien, à partir de 1763, sans en tirer un profit significatif. Pierre-Alexandre, qui a vu Greuze peindre L’Accordée de village et Le Paralytique secouru par ses enfants, est en effet durablement marqué par son art sentimental, et développe le même goût pour les têtes de caractère et pour les scènes de genre édifiantes de la vie bourgeoise. Agréé à l’Académie en 1774, il expose régulièrement au Salon à partir de l’année suivante, ainsi qu’au Salon de la Correspondance jusqu’en 1787. Inséparable de son fils, Johann Georg fait tout pour faciliter sa carrière, lui prête sa renommée, ses réseaux de clientèles, et grave un grand nombre de ses dessins1.

À partir de 1789, le père et le fils épousent la cause de la Révolution. Pierre-Alexandre s’engage dans la garde nationale dès le début de l’insurrection, et en gravit les échelons jusqu’au grade de commandant de division, en 1792, année au cours de laquelle il est notamment affecté à la garde de la reine, qu’il escorte à la messe. Le déclin de son activité artistique résulte de son engagement patriotique : désertant les cimaises du Salon, il ne semble plus guère consacrer ses crayons qu’à immortaliser quelque scène d’actualité ou à tracer la physionomie d’amis ou de quelque figure républicaine2.

Notre portrait appartient à cette dernière catégorie. Sans doute parce qu’il était voué à rester en possession de son modèle, l’artiste ne s’est pas soucié de l’identifier dans l’inscription en marge, laquelle exprime plutôt, par sa date très circonstanciée – le 2e Ventôse de l’an 2e de la République une et indivisible –, l’entière adhésion de son auteur à la République. Comme dans le portrait de Giost, adjudant général de la force armée parisienne (ill. 1), qu’il signe de la même manière, ou dans Les Moustaches françaises, ou Les Bons Patriotes (1793, Paris, musée Carnavalet), Wille manifeste un intérêt particulier pour les costumes
et les ornements singuliers désignant le nouvel ordre social. Cependant, la toque de fourrure, la moustache et les favoris de notre personnage, étrangers à la mode française du temps, semblent plutôt appartenir à une nation d’Europe centrale ou nordique, les liens de la famille Wille avec la Pologne, le Danemark ou les pays germaniques étant d’ailleurs nombreux.

Le degré de « fini » de ces portraits (auxquels il faut associer celui de Madame Wille3), beaucoup plus poussé que dans ses feuilles antérieures à la Révolution, et les qualités picturales de la technique aux trois crayons, révèlent les vertus compensatoires du dessin, activité de substitution à la peinture. (M.K.)

 

 

 

1. Voir Georges Duplessis (éd.), Mémoires et journal de J.-G. Wille, graveur du roi, Paris, J. Renouard, 1857, 2 vol.
2. Voir K. E. Maison, « Pierre-Alexandre Wille and the French Revolution », dans Master Drawings, X, 1972, p. 34-35.
3. Portrait de Madame Wille, portant un chapeau de feutre au dessus d’un bonnet de dentelle, 1793, pierre noire, sanguine et craie blanche, 39,8 x 31,7 cm, repr. dans Nineteenth Century French Drawings, cat. exp. Londres, Hazlitt, Gooden & Fox en 1994, n° 1.

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