Inédite, cette belle et rare composition mythologique, jadis attribuée à Simon Vouet, est emblématique du grand nombre de questions que soulève le fonctionnement encore en partie énigmatique de l’atelier du premier peintre de Louis XIII, le plus prestigieux du royaume depuis son retour d’Italie en 1627.


 

L’œuvre figure la déesse Diane, dont l’iconographie connaît un important développement en France depuis la seconde moitié du XVIe siècle. Fille de Jupiter et de Léto, sœur jumelle d’Apollon, Diane est une vierge chasseresse assimilée à la Lune, dont elle conduit le char. Chaste et farouche, vivant dans les forêts à l’écart des hommes, elle est souvent opposée à Vénus, figure symbolique de la luxure. En mettant en scène sa rencontre avec Actéon ou les amours de sa compagne Callisto, les récits mythologiques la confrontent à la perversité des hommes, qu’elle punit toujours avec sévérité. C’est dans cette thématique que s’insère le sujet de notre peinture, qui montre la déesse venant au secours de trois nymphes en perçant de ses flèches les satyres qui les attaquent. Cette confrontation entre chasteté et perversité est un thème qui rencontre un très grand succès dans les décors profanes parisiens des années 1630, période où nous pouvons situer le tableau.


 

Tout laisse à penser qu’il s’insérait à l’origine dans un cycle décoratif fixé dans des lambris, comme l’étaient la plupart des tableaux mythologiques de Vouet et de son atelier que nous conservons encore aujourd’hui 1. Son point de vue en légère contre-plongée, en particulier, laisse supposer qu’il était destiné à être placé en hauteur, à l’instar des tableaux du cycle de Renaud et Armide réalisés par Vouet pour le château de Chilly (coll. part., Paris).


 

L’œuvre montre de multiples analogies avec l’art de Vouet, aussi bien dans le style que dans l’attitude des figures et dans leur ordonnance. Ses similitudes sont exemplaires de la circulation des modèles et des inventions au sein des ateliers d’artistes. Lorsque, en 1627, Vouet rentre en France à la demande de Louis XIII, l’activité artistique à Paris est florissante. Les nombreux chantiers confiés au peintre l’amenèrent à mettre en place, dès 1628, un atelier très actif qui se chargeait de l’exécution des grands décors d’après les dessins du maître. Au sein de cette véritable entreprise les artistes étaient répartis de façon hiérarchique en fonction du rôle qui leur revenait 2. Le groupe le plus nombreux était constitué par les élèves qui ne recevaient qu’un simple enseignement, comme André Le Nôtre. Ensuite venaient les peintres confirmés, spécialisés dans des genres particuliers, comme le paysagiste François Bellin. Enfin, la catégorie la plus importante était composée des collaborateurs. Ces derniers avaient la charge de mener à bien les nombreuses commandes que Vouet ne pouvait plus assumer seul. Parmi eux l’on comptera tous les jeunes peintres les plus talentueux de l’époque, tels que François Perrier, Nicolas Chaperon, Rémy Vuibert, Michel Corneille, Charles Poerson, Michel Dorigny, Eustache Le Sueur ou Charles Le Brun.


Cette organisation collective des chantiers et l’exécution parfois à plusieurs mains d’une même œuvre ou d’un cycle décoratif rendent aujourd’hui très difficiles les tentatives d’attributions. Vouet se chargeait presque toujours de l’invention en fournissant le dessin des compositions. Il pouvait lui-même peindre quelques morceaux de choix et corriger les autres peintures après leur exécution par ses élèves. Dans certains cas, il lui arrivait également de laisser une plus grande latitude à certains collaborateurs de talent pour compléter les scènes, mais en respectant toujours le langage visuel du maître.


 

C’est dans ce contexte passionnant, mais problématique, qu’il convient de replacer notre peinture. La vigueur de l’exécution, la gamme chromatique restreinte animée par quelques couleurs vives, le type allongé et sinueux des figures, les particularités anatomiques, telles que le visage rond des jeunes femmes marqué d’un nez en pointe et les mains aux longs doigts dénuées d’articulations, sont autant d’éléments qui rattachent l’œuvre à la manière de Simon Vouet dans les années 1630-1635. C’est la période la plus intense de son activité de décorateur et les grands chantiers se suivent à un rythme soutenu : Tenture de l’Ancien Testament, décors des châteaux de Chilly (1630-1632), de Chessy (1631-1632), de Richelieu (1632), du Palais Cardinal (1632), de l’hôtel de Bullion (1633), du château de Wideville (1634-1635 ; 1640), du château neuf de Saint-Germain (1635), de l’hôtel Séguier (1635-1640). Hormis le décor de Chilly évoqué plus haut, tous les autres ensembles sont aujourd’hui détruits. Il est donc fort probable qu’une partie des toiles mythologiques aujourd’hui conservées de Vouet ou de son « école » soient des vestiges de quelques pièces de ces hôtels et palais, dont les descriptions anciennes ne nous rapportent pas toujours le détail avec précision.


 

Parallèlement aux forts rapports stylistiques avec la manière de Vouet, notre tableau présente un certain nombre de citations directes d’après le maître. La nymphe agenouillée placée au premier plan est une reprise de celle utilisée vers 1630-1632 pour incarner Cérès aux côtés de Neptune dans les décors de la galerie du château de Chilly. Aujourd’hui détruites, les compositions de la galerie sont connues à travers un cycle de tapisseries, la tenture des Amours des dieux (ill. 1), celle de Neptune et Cérès ayant également été reprise dans une peinture conservée au musée de Montbéliard et dont l’exécution est due à Vouet et son atelier (ill. 2)3. La pose langoureuse et sensuelle de cette figure féminine a rencontré un certain succès puisque Vouet l’intègre en allégorie de l’Abondance dans la composition d’une estampe célébrant la naissance de Louis XIV (ill. 3) gravé par pierre Daret en 1639. Elle incarne également Andromède dans une petite peinture de l’école de Vouet conservée au musée Magnin de Dijon 4 (ill. 4) et une nouvelle fois Cérès dans une Allégorie de l’été conservée à la National Gallery de Londres 5 (ill. 5). Ce dernier tableau, parfois mis en relation avec un décor peint par Vouet assisté de son atelier à l’hôtel de Bullion, soulève les mêmes interrogations que le nôtre quant à son attribution et à son statut. Nous pensons que dans les deux cas il s’agit d’œuvres destinées à des décors commandés à Vouet et dont la réalisation s’est faite par les collaborateurs sous le regard du maître.


La seconde nymphe placée de trois quarts est également l’écho d’une invention de Simon Vouet, cette fois issue de la Tenture de l’Ancien Testament : on la retrouve sous les traits de la mauvaise mère dans le Jugement de Salomon6. Quant à Diane, sa pose, son visage et sa coiffure sont similaires à celle d’Armide dans le cycle du château de Chilly. Tous ces rapprochements permettent de suivre et d’illustrer la circulation des modèles de Vouet à travers des groupes d’œuvres de l’atelier.


 

L’attribution d’une telle peinture demeure délicate tant le style des œuvres produites dans l’entourage de Vouet est homogène. Le traitement énergique des musculatures, la robuste présence de certaines figures et la facture nerveuse et dense ont suscité plusieurs noms de jeunes peintres actifs dans l’atelier de Vouet autour de 1635 : Charles Le Brun 7, Michel Dorigny et Nicolas Chaperon. Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous semble que c’est avec l’œuvre connue du dernier que le tableau offre le plus d’analogies.


Les recherches menées par Charles Sterling, par Jacques Thuillier, par Pierre Rosenberg ainsi que l’exposition consacrée à Nicolas Chaperon au musée des Beaux-Arts de Nîmes en 1999 ont permis de mieux appréhender l’œuvre de ce peintre né à Châteaudun et formé à l’école de Vouet au début des années 1630 8. Le corpus de l’artiste, qui se limitait jadis à trois peintures et quelques rares dessins, comporte désormais plusieurs dizaines de numéros.


C’est probablement vers 1632, en même temps que François Perrier et Charles Poerson, que Chaperon intègre l’atelier du premier peintre de Louis XIII. Le jeune peintre peut alors observer et participer à la genèse de la plupart des grands cycles décoratifs qu’entreprend son maître. Comme pour la plupart des collaborateurs de Vouet, il est encore impossible de déterminer avec précision la part confiée par Vouet à Chaperon dans ces entreprises, d’autant plus qu’il ne reste plus de ces ensembles que des reproductions gravées ou – au mieux – quelques rares fragments.


Ses réalisations originales, dont nous avons trace à partir de 1634, montrent une très bonne compréhension de l’art de Vouet, mais également quelques signes distinctifs qui permettent de différencier ses œuvres de celles du maître. Comme en témoignent La Sainte Famille de Gosford House, L’Ivresse de Silène du musée des Offices, les Bacchanales gravées vers 1635-1638, L’Éducation de l’Amour récemment acquise par le musée du Louvre, ou encore les peintures murales de la chapelle Saint-Vincent-de-Paul à Saint-Nicolas-des-Champs, la manière de Chaperon est en général plus brutale que celle de Vouet. Les figures masculines sont marquées par des musculatures froissées plus expressives, et les figures féminines observent un canon plus allongé. Ces particularités se retrouvent dans les nymphes et les satyres de notre tableau.


Nous proposons également de le rapprocher des Muses dans un paysage (localisation actuelle inconnue), publié par William Crelly en 1962 (ill. 6) 9. Ce tableau pour lequel nous avons également proposé une attribution à Nicolas Chaperon nous paraît être de la même main que Diane pourchassant les satyres. La conception du paysage animé de diagonales formées par les troncs d’arbres, le rôle décoratif des figures et leur canon sont identiques dans les deux œuvres, dont les dimensions sont voisines. Il est toutefois difficile d’avancer que les deux tableaux faisaient partie du même décor, les personnages n’y présentant pas la même échelle et leurs dimensions différent légèrement.


 

Si l’attribution que nous proposons demeure sujette à discussion, il nous semble que plusieurs certitudes peuvent être avancées sur cette peinture. Il s’agit d’une œuvre destinée à un ensemble décoratif réalisé sous la direction de Vouet, probablement d’après ses dessins, par un membre de son atelier vers 1635. Comme la Cérès de Londres et les Muses dans un paysage que nous avons cité plus haut, Diane pourchassant les satyres est un magnifique exemple de l’utilisation savante et novatrice du paysage dans la peinture décorative que Vouet renouvelle de façon fondamentale.


 

Guillaume Kazerouni

 

 

 

Notes

 

1. De Vouet lui-même ne subsiste plus aucun décor complet, hormis celui de Renaud et Armide inspiré de La Jérusalem délivrée du Tasse. Peint pour le château de Chilly, l’ensemble réalisé avec la collaboration de François Perrier est aujourd’hui en partie remonté dans un hôtel particulier à Paris. Mentionnons également plusieurs tableaux d’un cycle consacré à Diane par Michel Dorigny, autre collaborateur de Vouet, dont deux toiles sont aujourd’hui conservées au musée du Petit Palais à Paris (voir A. Brejon de Lavergnée, « Nouveaux tableaux de chevalet de Michel Dorigny », Actes du colloque Simon Vouet, Paris, 1992, p. 417-433).

 

2. Sur l’atelier voir la synthèse de Jacques Thuillier, dans cat. exp. Vouet, Paris, Grand Palais, 1990-1991, p. 23-60.

 

3. Voir Lavalle, in dans Thuillier 1999-1991, p. 500-502. Sur le tableau de Montbéliard, voir cat. exp. Éclairages sur un chef-d’œuvre. Loth et ses filles, de Simon Vouet, Strasbourg, 2005, n° 24, p. 165.

 

4. Inv. 1938 F55. Huile sur toile, 53 x48 cm. Œuvre jadis attribuée à Jacques Blanchard et ensuite à Jean Mosnier. Un dessin conservé au Louvre (Inv. 33323) sous le nom de Vouet, mais certainement due à un collaborateur, présente une composition en partie similaire au tableau du musée Magnin. Toutefois Andromède y a une pose différente.

 

5. Inv. Huile sur toile, 147,6 x188,7 cm. Œuvre traditionnellement attribuée à Vouet et proposée pour Nicolas Chaperon par Sylvain Laveissière en 1999.

 

6. Voir Thuillier, 1990-1991, p. 505, repr.

 

7. Hypothèse de travail proposée par Dominique Jacquot.

 

8. Nicolas Chaperon 1612-1654/1655, Nîmes, Musée des Beaux-Arts, 1999, cat. exp. par Sylvain Laveissière, Dominique Jacquot, Guillaume Kazerouni.

 

9. Huile sur toile, 158 x 176 cm. Voir The Painting of Simon Vouet, New Haven-Londres, 1962, et Kazerouni dans cat. exp. La Collection Motais de Narbonne. Tableaux français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Musée du Louvre (24 mars-21 juin 2010), cat. 5, note 11, p. 116.

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