• ill. 1. Jean Daret, La Conversion de Saint Paul. Huile sur toile, 111 x 142 cm. Clermont-Ferrand, musée d’art Roger-Quilliot.

Né à Bruxelles en 1614, Jean Daret commence son apprentissage chez Antoine van Opstal (1592-1653), peintre de la cour des archiducs, à l’âge de onze ans. Dès 1633, le jeune peintre est attesté à Paris où il assiste au mariage de son cousin germain Pierre Daret (1605-1678), graveur d’après les plus grands peintres de son temps, notamment Simon Vouet (1590-1649) et Jacques Blanchard (1600-1638). Jean quitte la capitale française au début de l’année suivante, vraisemblablement pour se rendre en Italie.
 

On le retrouve à Aix-en-Provence en 1636 où il épouse la fille d’un bourgeois et demeure pendant une trentaine d’années. Il participe à la décoration de nombreuses églises et couvents à Aix (Saint Dominique et sainte Catherine, 1643, Aix-en-Provence, église de la Madeleine) et aux alentours (Miracle de Soriano, 1649, Grasse, musée d’Art et d’Histoire, peint pour le couvent dominicain de Gap). Notre artiste travaille surtout pour une clientèle privée, membres de la noblesse provençale qui lui demandent des peintures pour orner leurs chapelles privées (Christ en croix, 1640, Aix-en-Provence, cathédrale Saint-Sauveur), des scènes mythologiques (Esculape ressuscitant Hippolyte, 1636, Marseille, musée des Beaux-Arts), des portraits (Portrait d’un magistrat, 1638, Marseille, musée des Beaux-Arts), des scènes de genre (Joueur de guitare, 1636, Aix-en-Provence, musée Granet) ou de dévotion (Éducation de la Vierge, 1655, collection particulière). Le décor en trompe-l’oeil de l’escalier de l’hôtel de Châteaurenard (1654) à Aix, son chef d’oeuvre, est le seul témoignage in situ de son activité de peintre de décorations. Admiré par Louis XIV pendant son séjour dans la ville en 16601, cet ouvrage lui a valu une réputation de peintre de décors.
 

En 1659, Daret décide de se rendre à Paris où il participe à la décoration du château de Vincennes (disparu)2 et exécute des portraits (Nicolas Sanson, perdu, connu par l’estampe de Jan Edelinck). Le peintre est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture le 15 septembre 1663 et rentre à Aix l’année suivante. Il y reprend les travaux pour les amateurs locaux dont Pierre Maurel de Pontevès (1601-1672) qui lui commande de nombreuses décorations (détruites) pour son château à Pontevès (Var). Il est occupé à la peinture du plafond de la chapelle des Pénitents blancs de l’Observance (détruit, dessin préparatoire, Rouen, musée des Beaux-Arts) au moment de sa mort en 1668.
 

Aujourd’hui on connait bien la production religieuse du peintre grâce aux nombreux documents qui en témoignent. Les tableaux qui subsistent sont caractérisés par un grand intérêt pour les jeux de coloris, le traitement réaliste des détails et des raccourcis habiles. Mais c’est à l’occasion de ses oeuvres profanes – aujourd’hui peu nombreuses et moins bien documentées – que Daret semble avoir laissé libre cours à son imagination. Les compositions sont innovantes, les mises en scène soignées et les jeux de couleurs subtils. Notre tableau montre toutes ces qualités.
 

De format ovale, la composition peinte sur une toile rectangulaire était destinée à être encastrée dans un lambris. Il s’agit d’une scène de bataille, les figures entassées au premier plan, une vue plongeante vers un paysage et une ville incendiée sur la droite. Les poses des soldats s’intègrent à la forme ovale, lui faisant écho à l’intérieur de la peinture.
 

Le talent de Daret coloriste est évident ici. Il met en oeuvre une gamme chatoyante : rose, bleu, rouge, orange et violet, qui forment opposition aux tons plus sourds, vert olive, brun, gris des chevaux, des armures et de certains vêtements. Cette manière de structurer la composition à l’aide des couleurs est caractéristique de Daret et se retrouve dans la Conversion de saint Paul (vers 1645, ill. 1) où l’artiste a construit sa composition autour de zones de couleurs franches, bleu, rouge et violet.
 

Les vêtements et les corps des combattants sont peints à l’aide d’un pinceau libre et plein de confiance, décrivant les musculatures sous les tissus. Les formes massives des soldats, leurs visages ronds aux carnations pâles, les jeux subtils d’ombre et de lumières qui créent le volume, sont caractéristiques de l’art de Daret et se retrouvent dans la Conversion de saint Paul. Les mouvements en sens opposés de saint Paul et de ses compagnons y rendent la composition dynamique; on retrouve le même type de mouvement dans notre toile. Ces analogies, et l’évidente assurance de l’artiste en exécutant notre bataille, les touches variées sur les différentes parties des figures : larges et libres sur les draperies, plus précises et délicates pour l’ornementation des armures, les casques et les épées, nous incitent à dater la Scène de bataille, comme la Conversion de saint Paul, du milieu des années 1640.
 

L’identification plus précise de cette scène de combat demeure hasardeuse. Elle a lieu devant une ville incendiée, dépourvue d’éléments reconnaissables. Par ailleurs, les soldats habillés à l’antique ne portent aucun attribut permettant de les reconnaître. Cette absence est sans doute dû au fait que la toile devait s’inscrire dans une série de compositions illustrant un roman pastoral tel que Les Éthiopiques de Héliodore d’Émèse3 ou un texte antique comme l’Histoire romaine de Tite-Live. Il nous semble toutefois permis d’écarter La Jérusalem délivrée du Tasse, les peintres ayant l’habitude d’identifier les soldats musulmans de ce récit par des turbans, absents sur notre composition4.
 

Cette Scène de bataille inédite est un précieux témoignage des talents de Daret comme peintre de compositions décoratives. Nous connaissions déjà de lui le Diane et Callisto (1642, Marseille, musée des Beaux-Arts), toile destinée à un plafond, mais cette oeuvre a beaucoup souffert. L’excellent état de conservation de notre toile – rare pour les tableaux de Daret – nous permet d’appréhender la richesse de la facture de Daret peintre de scènes historiées. (Jane MacAvock)

 

 

 

1. Jane MacAvock, « La fortune de la peinture religieuse en Provence au XVIIe siècle : copies et pastiches d’oeuvres de Nicolas Mignard et de Jean Daret », Regards sur les tableaux religieux : XVIIe – XIXe siècle, Arles, 2013, p. 60.
2. Pierre-Joseph d’Haitze, Les curiositez les plus remarquables de la ville d’Aix, À Aix, chez Charles David, 1679, p. 60.
3. Recueil des principaux évènemens de la confrérie des Frères Pénitens Blancs près l’Observance de la ville d’Aix, Aix-en-Provence, Bibliothèque Paul-Arbaud, vers 1721, Ms. MF 197, non folioté.
4. Rappelons que ce récit a été illustré par Nicolas Mignard à Avignon au milieu des années 1630, A. Schnapper, Nicolas Mignard d’Avignon, Avignon, 1979, n° 7.
5. Nous remercions M. Alexis Merle du Bourg pour ses éclairages sur ce point.

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