• A Blot, Based on New Method, Plate 10. Verso: A Clumsier Blot null Alexander Cozens 1717-1786 Purchased as part of the Oppé Collection with assistance from the National Lottery through the Heritage Lottery Fund 1996 http://www.tate.org.uk/art/work/T08197

Admiratif de la dernière période de l’œuvre de Francisco Goya, le peintre madrilène Eugenio Lucas y Velázquez fut l’un des romantiques espagnols qui surent le mieux transcrire l'intensité expressive de l’héritage goyesque. Formé à l’Académie San Fernando, où il expose deux Caprices et deux scènes de genre en 1841, il subit l’influence des maîtres espagnols dont il pouvait régulièrement voir les œuvres au musée du Prado, en particulier celles de Velázquez à qui il emprunte son surnom. Lucas entame sa carrière par des programmes décoratifs importants : le plafond du Théâtre royal de Madrid (décor perdu), puis le palais du marquis de Salamanca. Il rencontre beaucoup de succès comme peintre de genre en définissant un style personnel caractérisé par la richesse des effets de matières et les éclairages tourmentés. Fasciné par les aspects sombres et archaïques de la civilisation ibérique, ses sujets de prédilection sont des scènes populaires, des fêtes de village, des corridas ou des scènes fantastiques (sabbats). Lors de sa participation à l’Exposition internationale de 1855 (Paris), Théophile Gautier remarque les peintures de Lucas et rédige quelques lignes très élogieuses. La même année, on lui confie l’estimation des « peintures noires » que Goya réalisa pour sa maison, La Quinta del Sordo (La Maison du sourd).


La carrière d’Eugenio Lucas y Velázquez se partage en deux parties diamétralement opposées : en tant que peintre de la Chambre du Roi il reçoit de nombreuses commandes officielles (en particulier des portraits ou des scènes de genre), mais il reste également attaché à des œuvres réalisées dans une facture plus spontanée (paysage, effets atmosphériques, caprices…). Ses voyages en Italie (1856) et au Maroc (1859) influencèrent directement ce deuxième ensemble dont notre dessin fait partie. Comme son beau-frère, le paysagiste romantique Pérez Villaamil, connu pour son caractère fantasque et secret, Lucas dessine des paysages réels et imaginaires en déposant rapidement l’encre ou l’aquarelle avec des taches. Certaines de ses œuvres sur papier, dont le Paysage orageux, peuvent être rapprochées des encres contemporaines de Victor Hugo, dans lesquelles l’auteur de La Légende des siècles dilue les motifs nocturnes (châteaux, tours, ponts…) dans la matière aqueuse.


Daté de 1860 par analogie avec un autre dessin conservé à Barcelone (ill. 1), les effets plastiques de notre dessin peuvent être rapprochés de ceux produits par la méthode de composition de paysage établie par Alexander Cozens à la fin du XVIIIe siècle[1]. Il propose de travailler sur un système de taches dans lequel le hasard prend une part importante dans l’émergence des formes, afin de se détacher de la référence précise à la nature et d’« élargir les pouvoirs de l’imagination […] ouvrir l’esprit et le mettre sur la voie des pensées neuves ». Composé de planches et d’un texte destiné aux artistes, l’ouvrage de Cozens est diffusé dans toute l’Europe au début du XIXe siècle et touche particulièrement les peintres anglais Constable ou Turner[2]. Dans un essai de 1958, Xavier de Salas est le premier historien de l’art à attirer l’attention de l’influence de cette méthode sur l’art romantique espagnol[3]. Plus récemment, une exposition centrée sur l’imaginaire d’Eugenio Lucas et l’influence de Goya sur la poétique romantique mettait de nouveau en valeur la méthode de l’artiste anglais sur les dessins de tours, de ruines, ou de prairies réalisées autour de 1860[4]. Notre artiste déploie une écriture singulière susceptible de laisser libre cours à des sujets oniriques et de repousser le réalisme trop cloisonnant. Le saisissement d’une impression fugitive s’impose sur la notation détaillée d’un site ou d’une curiosité. Eugenio Lucas y Velázquez trouve dans ces feuilles le moyen d’exprimer les caractères essentiels de l’esprit romantique : la transgression et l’outrage. (G. P.)











[1] Alexander Cozens, Nouvelle méthode pour faciliter l'invention de compositions originales de paysage, 1785.




[2] Pour approcher plus précisément la méthode de Cozens nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de référence de Jean-Claude Lebensztejn, L’Art de la tache, Introduction à la Nouvelle méthode d’Alexander Cozens, Paris, Éditions du limon, 1990. Tiré de sa thèse, cet ouvrage reprend aussi une traduction en français du texte de Cozens.




[3] Xavier de Salas, « Varias notas sobre Jenaro Pérez Villaamil », Archivo Español de Arte, Madrid, 1958, XXXI, p. 273-298.




[4] Francesc M. Quílez Corella, L’imginari d’Eugenio Lucas. L’influencia de Goya a la poètica romantica, Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya, 2008-2009, p. 21-22.

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ill. 1 : Eugenio Lucas y Velázquez, Paysage, vers 1860, encre et aquarelle, 16,2 x 11,3 cm, Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ill. 2 : Alexander Cozens, Une tache, basée sur une nouvelle méthode, planche 10, encre sur papier, 48 x 38,3 cm, Londres, Tate Gallery



 

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