Notre connaissance de la vie d’Alfred Bramtot tient en peu d’informations, celles que fournissent les nécrologies publiées à sa mort prématurée à l’âge de quarante et un ans des suites d’une « maladie de poitrine ». C’est parce que son père, chef du secrétariat de la Banque de France, s’occupe des affaires de Bouguereau et que les deux familles entretiennent des relations amicales, qu’Alfred entre dans l’atelier du maître. Il deviendra son élève préféré et, comme en témoignera l’hommage solennel qu’il lui rendra au cours de ses funérailles, Bouguereau sera profondément affecté par sa mort1. Inscrit à l’École des beaux-arts en 1872, il commence à exposer au Salon en 1875 et remporte le prix de Rome quatre ans plus tard sur le sujet de La Mort de Thémistocle. À son retour de Rome, il est professeur de dessin et de peinture à l’académie Julian et à l’École polytechnique. L’artiste d’exposition, qui présente régulièrement des compositions historiques et surtout religieuses dans les salons, est également en quête de commandes : il échoue au concours du décor de la mairie d’Arcueil-Cachan, mais se voit attribuer, en 1889, celui de la salle du conseil municipal de la mairie des Lilas ; il fournit des cartons de vitraux au maître verrier Félix Gaudin en 1893, compose de nombreux dessins destinés aux émissions monétaires pour les colonies françaises, ainsi que des illustrations, soit une production variée, essentiellement alimentaire, qui montre la difficulté de tracer sa voie dans un milieu parisien très concurrentiel.
 

Si son décor de la mairie des Lilas sur le thème du Suffrage universel montre qu’il peut se conformer au canon réaliste de l’art officiel, ses créations dans le genre de l’histoire révèlent un peintre idéalisant tenté par l’Orient. Le Départ de Tobie présenté au Salon de 1885 en fut un premier exemple; acquis par le musée de Bourges, il lui valut une médaille de seconde classe et constitue l’un des points culminants de sa fortune critique. L’année suivante, Bramtot propose une autre formulation de l’orientalisme biblique qui l’éloigne de la voie tracée par son maître. L’histoire de Job est celle d’une douleur absolue – physique et morale – infligée par Dieu, à l’instigation de Satan, à un homme bon et juste pour éprouver sa foi. Malgré la perte de ses enfants, de tous ses biens et de sa santé, sa confiance en Dieu resta intacte, mais sa souffrance était telle que ses trois amis venus des confins de l’Arabie pour le soutenir restèrent impuissants et, pendant une semaine, ne purent que le veiller : « Ils demeurèrent avec lui assis sur la terre, durant sept jours et durant sept nuits, et nul d’eux ne lui dit aucune parole, car ils voyaient que sa douleur était excessive» (Livre de Job, chap. II, verset 13).

 

L’idée de Bramtot d’en faire un tableau lui vint sans doute de ce que le sujet fut choisi par Gérôme pour le concours du prix de Rome de l’année. Mais la composition qu’il en tire n’a plus rien à voir avec le standard académique, elle prolonge les visions antérieures d’un Orient lunaire proposées par des peintres excentriques tels Lecomte du Nouÿ (Les Porteurs de mauvaises nouvelles, 1871; Le Songe de l’eunuque, 1874) ou Olivier Merson, en la déplaçant du registre de la fable à celui du drame biblique. Les griefs mineurs que certains critiques lui firent touchent à la posture du vieillard : « J’aimerais que Job, moins expansif, n’ait pas l’air de prédire l’invention du télégraphe aérien par la mimique excessive de ses bras », raille Henry Fouquier2. Mais il reconnaît que « l’impression du paysage de nuit est agréable », et, en général, le ciel nocturne, loin de sembler une imitation de quelque devancier, consacra le talent du peintre, comme en témoigne l’éloge d’Olivier Merson père, critique du Monde illustré, mieux placé que personne pour apprécier les mérites de cette invention poétique : « Job est couché sur un tas de fumier dans l’angle d’une cour de logis ruiné. Ses trois amis, assis à terre, le regardent et l’écoutent ; “nul d’eux ne lui dit aucune parole” ; on n’entend que le vieux juste rendant grâce à Dieu en exhalant les plaintes que lui arrache l’excès de ses douleurs, les bras étendus comme sur une croix invisible. C’est la nuit. La lune emplit la toile d’une lumière monochrome et blafarde, et d’ombres silencieuses. Assurément voilà un sujet qui a servi de thème à bien des peintres. Survient un homme d’intelligence et de goût qui l’envisage sous un aspect nouveau et en rajeunit l’intérêt, et M. Bramtot obtient avec les Amis de Job, un succès très vif, unanime et tout-à-fait légitime. » De fait, le tableau est l’un de ceux que le New York Times signale à ses lecteurs dans son compte rendu de l’exposition. Ne s’y trompant pas, la Société française des amis des arts en fit l’acquisition et il fut gagné à la loterie la même année par le Cercle Volney. (M.K.)

 

 

1. Damien Bartoli en donne une traduction en anglais, William Bouguereau, His Life and Works, Antique Collectors’ Club, New York, 2010, p. 360. Il le signale publié sous forme de brochure.
2. Pour cette citation et les suivantes, voir les références dans notre Bibliographie ci-dessus.

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