Lire la suite
(Bologne, 1656 – id., 1727)
Le Déluge
Vers 1680-85
Huile sur toile
41 x 33,5 cm
Bibliographie
Inédit.
Parmi les peintres les plus divertissants, audacieux et inventifs de l'Italie du XVIIe siècle, Giovanni Antonio Burrini occupe certainement une place de premier plan. Le tableau présenté ici est un exemple rare et convaincant de sa meilleure peinture[1]. Bien que la rapidité de la touche sois typique du maître bolonais, on peut également supposer vu le format, qu'il s'agisse du bozzetto d’une oeuvre aujourd’hui perdue ou jamais réalisée en raison d'un changement d’avis du commanditaire. Notre tableau, jouant sur les tons rouges de la préparation, présente une peinture rapide et fulgurante, aux contours diffus mais en même temps très dense, riche en empâtements. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'historien Gian Pietro Zanotti, en 1739, et le parisien Charles-Nicolas Cochin le Jeune (1715-1790), dans son Voyage d'Italie de 1758, ont noté la similitude avec la peinture rapide et fulgurante de Luca Giordano[2].
Tant la typologie du style pictural que les détails des visages de la femme ou du vieillard à cheval renvoient à la peinture de Burrini de la dernière décennie du XVIIe siècle : à rapprocher, par exemple, du Abraham s'apprêtant à sacrifier Isaac du musée du Louvre où l'on retrouve les mêmes caractéristiques picturales, voire le même visage de vieillard[3]. Ces serpentements de couleurs, véritables éclairs, sont un trait distinctif de Burrini, parti dans sa jeunesse à Venise pour parfaire sa formation. Peintre anti-académique par excellence pour le monde classiciste bolonais, il était un véritable outsider doté d'une grande capacité d'invention alliée à une technique d’une grande finesse.
La composition de notre oeuvre est en effet assez inhabituelle. La colère divine est représentée par les flammes dans le ciel et se concrétise dans la foudre qui frappe le destrier malheureux, tandis qu'au-dessus, une montagne d'eau, tracé au blanc de plomb sur le bleu lapis-lazuli du ciel, déferle et frappe les hommes qui tentent en vain de se réfugier sur la falaise de droite. L'eau se précipite vers l'aval avec une force bouleversante et les figures au premier plan se désespèrent en essayant de mettre leurs proches à l'abri. Il n'y a aucune possibilité de fuite, la fureur de Dieu est imminente et le symbole du Salut habituellement représenté par l'arche de Noé semble être ignoré dans cette représentation.
Cette divergence iconographique pourrait suggérer un cycle pictural, généralement une triade, avec différents moments tirés de l'Ancien Testament : Dieu ordonne à Noé de construire l'arche, Le Déluge universel (le sujet de notre tableau) et la Sortie de Noé de l'Arche. Nous connaissons, par exemple, un cycle de peintures de Burrini perdu à Bologne dans l'église de la Madonna di Strada Maggiore, mentionné en 1686 dans le guide de la ville de Carlo Cesare Malvasia. On peut supposer que cette triade iconographique a été conçue pour un projet de toile ou de fresque destinée à la décoration ecclésiastique, et que notre toile est un modèle de présentation pour le commanditaire.
Luca Fiorentino (trad. S. A.-T.)
[1] Pour une connaissaince générale de Burrini, voir la monographie qui lui est consacrée par : Eugenio Riccomini, Giovanni Antonio Burrini, Ozzano Emilia (BO), 1999.
[2] Pour la comparaison avec Luca Giordano, voir : Marco Riccomini, « Burrini napoletano », dans Studi in onore di Stefano Tumidei, Andrea Bacchi et Luca Massimo Barbero (dir.), Vérone, 2016, pp. 335-341. Voir également : Gian Pietro Zanotti, Storia dell'Accademia Clementina di Bologna, Bologne, 1739, Vol. I, pp. 325-327; Charles-Nicolas Cochin, Voyage d'Italie, Paris, 1758, p. 147 cité dans Eugenio Riccomini, Giovanni Antonio Burrini, op. cit., pp. 238-239. Cochin a confondu une œuvre de Sebastiano Ricci avec une œuvre de Burrini : on comprend donc non seulement la qualité de l'artiste bolonais mais aussi la similitude avec la peinture du maître vénitien.
[3] Pour la peinture du musée du Louvre : Eugenio Riccommini, Giovanni Antonio Burrini, op. cit, p. 180-181. Le tondo du musée du Louvre est également de petite taille (28 cm de diamètre), daté 1684-85. La comparaison avec notre peinture est donc très pertinente, à la fois pour la rapidité du trait, mélange de peinture et de dessin, et quant à leurs finalités (Rosenberg considérait le tableau du Louvre comme un modello).
Réduire
Lire la suite