Bidauld est du petit nombre d’artistes autodidactes qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont rénové le genre du paysage par une expérimentation inédite de la peinture de plein air. L’apprentissage de ce fils d’un modeste orfèvre de Carpentras est précoce et itinérant. Lyon, où dès l’âge de dix ans il rejoint son frère aîné, peintre de paysage et de nature morte, est le berceau de ses études. Mais l’année qu’il passe à Genève et les occasions de sociabilité que ce séjour lui procure sont plus déterminantes pour l’artiste adolescent que les menus travaux réalisés jusque-là en compagnie de son frère. Vivement frappé par le spectacle sublime des montagnes, initié à l’étude de la nature par un artiste local, édifié sur son art par l’étude des tableaux des grands maîtres flamands et hollandais découverts dans les cabinets de riches amateurs genevois, Bidauld se découvre une vocation de paysagiste. Arrivé à Paris en 1783, après un détour par le Midi, il y recueille les conseils de Vernet et copie des tableaux de genre pour le parfumeur et marchand de tableaux Dulac, bienfaiteur qui lui permet de s’établir à Rome en 1785 et pour cinq années.


La méthode qu’il développe en Italie est sensiblement différente de celle de Valenciennes, son aîné. Il ne va pas saisir la nature sur le vif dans des esquisses rapides et fragmentaires, comme l’a fait Valenciennes, mais se pose devant le motif pour le reproduire avec application et selon un point de vue pittoresque, apprenant ainsi, « comme il le disait lui-même, à faire des études en faisant des tableaux, et à faire des tableaux en faisant des études (1) ». Sa pratique de la peinture de plein air n’est certes pas nouvelle, mais il la pousse sans doute plus loin qu’aucun autre artiste à cette date en prenant l’habitude « de peindre ses tableaux entièrement sur place, [...] d’aller s’établir des mois entiers devant un site, avec une toile de trois ou quatre pieds, de peindre sur place tout le jour, au risque de toutes les incommodités du lieu, en dépit des accidents mêmes de la température, et de ne quitter son poste qu’après avoir fini son tableau (2) ». Son opiniâtreté préfigure en cela le rapport que les peintres de Barbizon entretiendront avec la nature. Le succès de ses vues d’Italie et de ses paysages historiques italianisants tend d’ailleurs à éclipser le fait que cet exercice ne cesse pas à son retour en France en 1790 ; il peindra aussi la Bretagne, le Dauphiné, la forêt de Fontainebleau, Ermenonville, Montmorency.


Bidauld rencontre le succès sous le Directoire et la fortune sous l’Empire, grâce aux commandes reçues de la famille Bonaparte. La Restauration lui conserve les mêmes faveurs et le fait de surcroît académicien – il est le premier paysagiste promu à l’Institut – et officier de la Légion d’honneur. Son aisance lui a permis d’acquérir en 1822 la propriété de Montlouis à Montmorency, ayant jadis été habitée par Jean- Jacques Rousseau. C’est là qu’il peint le Paysage vu à travers une treille, signé avec malice par une lettre posée parmi les fleurs, au bas du treillis, avec l’adresse «à Mr Bidauld Montmorency», clin d’œil qui souligne le caractère précieux et atypique de l’œuvre.


Bidauld s’est rarement laisser dicter ses compositions par la géométrie et a toujours échappé à l’ennui d’une trop stricte symétrie. S’il aime, comme ses contemporains, le contraste entre la nature verdoyante et l’assemblage cubiste de fabriques, il le projette toujours sous le ciel du Midi. Jamais il ne s’est montré aussi septentrional que dans cette vue de toitures surplombant un paysage d’Île-de-France – sans doute le lac d’Enghien vu de Montmorency, dont on reconnaît à gauche le toit de la collégiale Saint-Martin. Il est évident que c’est le caractère pittoresque du cadre végétal de la treille, formant un tableau dans le tableau, qui a séduit le peintre, l’orthogonalité de la composition étant adoucie par ses ornements botaniques. L’idée du paysage de toitures imbriquées et l’application quelque peu naïve avec laquelle il est rendu n’est pas sans rappeler le regard de paysagistes nazaréens tels que Ferdinand Olivier (ill. 1). Cependant, dénué de la spiritualité que cet Allemand investit dans son art, cet hommage rendu par Bidauld au foyer trahit la vocation intime de l’œuvre. (M.K.)


 

1. Désiré Raoul-Rochette, «Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Bidauld », Institut national de France. Académie des Beaux-Arts. Séance publique annuelle du 6 octobre 1849, Paris, 1849, p. 33-47 (citation p. 40). On ne dispose sur l’artiste que d’un petit catalogue déjà ancien de Suzanne Gurtwirth, Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758-1846). Peintures et dessins, cat. exp. Carpentras, Angers, Cherbourg, 1978.

2. Idem, p. 40-41.

 



 

 

 

 

ill. 1. Ferdinand Olivier, Vue de Vienne, avec la cathédrale Saint-Étienne et l’église Saint-Charles-Borromée, vers 1815. Graphite, 7,6 x 23 cm. Vienne, Albertina.

 

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