Trait d’union entre l’Ancien Régime et le XIXe siècle, agent de liaison entre artistes, édiles et bourgeois, Dechazelle est une figure capitale de la scène culturelle lyonnaise, mais une figure quelque peu oubliée1.

Homme aux multiples facettes, ce fils d’un marchand passementier s’est d’abord fait connaître comme dessinandier pour la Fabrique. Ses études approfondies de la nature ont élargi son talent bien au-delà des compétences habituelles d’un ornemaniste, lui permettant d’introduire dans le décor des soieries un naturalisme et une invention comparables à ceux des peintres de fleurs flamands contemporains oeuvrant à Paris, qu’il a connus, tels Van Spaendonck, Van Daël et Van Huysum. Son intelligence et son génie de dessinateur ont fait de Guyot et Germain, dont il est devenu le directeur artistique, une maison de renommée internationale, qui a considérablement contribué au rayonnement de la Fabrique lyonnaise en Europe de l’Est, en Russie et en Orient.

L’aisance que la prospérité de la manufacture procura à Dechazelle, artiste par ailleurs doté d’une solide instruction et éduqué aux usages du monde, lui permit de développer un réseau dans la bonne société et de cultiver ses talents de musicien, son goût du théâtre ; plus tard il donnera libre cours à ses velléités de polygraphe par des livrets de ballets, des pièces de théâtre et des ouvrages d’histoire et de théorie de l’art, dont d’ambitieuses Études sur l’histoire des arts, publiées à titre posthume. Sa place dans le monde lui ouvre les portes de la franc-maçonnerie lyonnaise, alors contaminée par les idées ésotériques de Claude de Saint-Martin, et sensible aux courants illuministes contemporains. Dechazelle y adhère pleinement, via la lecture des oeuvres de Boehme, de Swedenborg et de Cazotte, jusqu’à ce que la Révolution le rappelle à la réalité. Patriote, il est néanmoins inquiété sous la Terreur, mais traverse la tourmente sans d’autres dommages que des pertes financières. Sous le Directoire, il se trouve dans la situation de devoir redresser l’industrie de la soierie considérablement mise à mal par le tragique intermède de l’an II et de la Terreur blanche. Multipliant les démarches auprès du gouvernement pour relancer l’économie locale, il fait également figure d’ambassadeur de la scène artistique lyonnaise à Paris, s’y lie avec nombre d’artistes de premier rang et favorise ainsi l’introduction dans la capitale des jeunes artistes de sa cité, tels Grobon, Révoil et Richard. Ce dernier, qui lui doit son entrée dans l’atelier de David, avec Révoil, en parle comme de « l’homme supérieur à qui je dois presque tout ce que j’ai appris dans les arts2 ». Au tournant de 1800, Dechazelle est l’artisan de la création du complexe culturel du palais Saint-Pierre, dans lequel s’articuleront le musée des Beaux-Arts et l’École spéciale des arts, officiellement fondée en 1807, dont il recrute les enseignants.

L’homme d’action qu’il a été, en prise avec son siècle, contribuant à faire entrer l’école lyonnaise dans la modernité, a quelque peu éclipsé l’artiste. Tandis que ses biographes évoquent sa pratique de la peinture, dans le genre des fleurs en particulier, les témoignages à nous être parvenus sont singulièrement rares ; le
musée des Beaux-Arts de Lyon n’en conserve aucun. Son autoportrait n’en est que plus précieux. Lorsque François Artaud fait la connaissance de Dechazelle à la fin des années 1780, il voit « un homme de belle figure, grand, maigre, ayant le front chauve, poudré à blanc3 ». Débarrassé de cet artifice d’Ancien Régime, le modèle de notre autoportrait appartient au nouveau siècle, et présente le visage affable d’un homme du monde. Sur le plan de l’exécution, la touche large et le clair-obscur atmosphérique, dérivant des maîtres rembranesques, révèlent l’étendue des références de l’artiste. (M.K.)

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