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(Lyon, 1756 – id., 1813)
Autoportrait
Marbre,
100 x 33,5 x 29,5 cm.
Provenance
Propriété de l’artiste ; resté dans sa famille après sa mort, au domaine de Greillon. Placé par ses héritiers sur son monument au cimetière de Loyasse, à Lyon, en 1839. Vendu par ses descendants en 1909.
– Lyon, collection Chatel.
– Stuttgart, collection particulière.
– Paris, galerie Fabius en 1974.
– Vente à Zurich, Koller, 2 novembre 1995, lot 4153.
– Vente à Zurich, Koller, 18 septembre 1997, lot 710.
– Paris, galerie Maurice Ségoura en 1997.
– Paris, collection particulière jusqu’en 2010.
Bibliographie
– S. de La Chapelle, « Joseph Chinard, sculpteur. Sa vie
et son oeuvre », Revue du Lyonnais, décembre 1896, p. 439.
– S. Lami, Dictionnaire des Sculpteurs de l’École Française au dix-huitième siècle, Paris, I, 1910, reprinted 1970, p. 218.
– Alphonse Germain, Les Artistes lyonnais des origines jusqu’à nos jours, Lyon, 1910, p. 32.
– Paul Vitry, Exposition d’oeuvres du sculpteur Chinard de Lyon (1756-1813) au pavillon de Marsan (palais du Louvre), cat. exp. Paris, musée des Arts décoratifs, 1909-1910, p. 47, sous le n° 79.
– Galerie Georges Petit, Catalogues des Sculptures par Joseph Chinard de Lyon (1756-1813) formant la Collection de M. le Comte de Penha-Longa, 2 décembre 1911, p. 45, sous le n° 57.
– James David Draper, dans James David Draper and Guilhem Scherf (dir.), L’esprit créateur de Pigalle à Canova, Terre cuites européennes, 1740-1840, cat. exp. Paris, musée du Louvre ; New York, Metropolitan Museum of Art ; Stockholm, Nationalmuseum, 2003, p. 41-42, sous le n° 4.
Quoique la pratique de l’autoportrait en sculpture se développe à la fin du XVIIIe siècle, elle reste rare comparée à l’usage des peintres. L’idée de Chinard de se représenter en pied, et de surcroît, en poète ou en orateur antique, est donc tout à fait exceptionnelle. Cette image sans équivalent exprime au plus haut degré la conscience que l’artiste a de sa supériorité sur ses contemporains statuaires, en même temps que sa fierté d’être lyonnais, lui qui doit à sa seule formation lyonnaise son statut de premier sculpteur français de sa génération.
L’évènement qui fonde cette assurance est sa victoire au concours Balestra de l’Académie de Saint-Luc à Rome, en 1786, et son extraordinaire réception par le milieu romain qui en découla. Les premiers ouvrages de cet élève de Barthélemy Blaise ont conquis ses compatriotes au point que l’ancien procureur du roi au bureau des finances de Lyon, Delafont de Juis, a financé son voyage d’études à Rome, où il était arrivé en 1784. Trois ans plus tard, il réalise l’exploit qui avait échappé aux meilleurs pensionnaires du roi (Allegrain, Mouchy, Houdon…) de remporter le premier prix du concours avec sa terre cuite de Persée délivrant Andromède (Lyon, musée des Beaux-Arts). Il fut applaudi, chanté, porté en triomphe et acquit la considération du milieu français1.
De nouveau à Rome en 1792, après un séjour de quatre années à Lyon, sa renommée trouve, à la faveur d’une mésaventure politique, un nouvel écho national qui augmenta, si besoin en était, son prestige dans sa ville natale. Revenu à Rome pour y exécuter les modèles de deux groupes allégoriques d’esprit républicain, Apollon foulant aux pieds la Superstition et Jupiter foudroyant l’aristocratie (Paris, musée Carnavalet), Chinard est dénoncé par un prêtre, arrêté par la police papale en même temps que l’architecte Ildefonse Ratter, et enfermé au Vatican. En plus d’une cocarde tricolore retrouvée dans son atelier, une complicité supposée avec Cagliostro est portée au nombre de ses délits2. Tandis que la diplomatie française fait des progrès rapides pour obtenir leur libération, Topino-Lebrun, élève jacobin de David ayant fui à Florence, sans avoir été témoin des évènements et ignorant l’élargissement de ses compatriotes, adresse, dans une lettre à son maître, un tableau d’une gravité excessive et en grande partie imaginaire de la situation des prisonniers. Elle fut lue par David à la Convention le 21 novembre 1792, alors que Chinard et Ratter étaient libérés. Une Épître au citoyen Chinard, sculpteur célèbre de Lyon, jeté dans les fers à Rome pour avoir modelé d’après l’antique la statue de la Liberté donna de la publicité de cet outrage fait à la République. Le directoire exécutif de la France réagit par une adresse au Saint-Siège, aussi vive qu’offensante, due à la plume de Mme Roland3 ; elle eut en définitive pour seul bénéfice de faire retentir le nom de Chinard en termes héroïques et vertueux à l’Assemblée.
De retour à Lyon, on lui prête l’intention de vouloir s’engager dans l’armée de Kellermann en 1793. Il opte finalement pour un engagement plus en accord avec ses talents, mais ses projets de monuments publics, chargés de symboles allégoriques que la frange inculte des patriotes reçoit avec suspicion, se heurtent à une hostilité croissante qui vaut au sculpteur d’être à nouveau incarcéré en octobre, par suite d’une dénonciation calomnieuse.
Membre de l’Institut, il redevient sous le Directoire et le Consulat le premier artiste de la cité, celui auquel est confiée l’organisation des fêtes nationales, avec leurs décors éphémères. C’est au cours de l’Empire, alors que sa reconnaissance est sanctionnée par son statut de portraitiste de la famille impériale et de pilier de l’École spéciale de dessin créée en 1805, que Chinard entreprend d’élever son tombeau dans sa propriété de Greillon, quai de l’Observance, signe qu’il entend rester maître de son corps au-delà de la mort en édifiant sa dernière demeure. À la suite de l’écroulement des murs il revoit sans doute l’envergure de son monument, et on ignore quel aspect il lui a donné. Mais on peut se demander si ce n’est pas précisément pour ce projet que le sculpteur a ébauché son autoportrait en marbre. Son héritier Étienne Chinard n’aurait eu qu’à le déplacer avec la dépouille de son oncle dans le mausolée qu’il lui a élevé au cimetière de Loyasse en 18394.
Chinard a repris pour cette statue un prototype en terre cuite conservé au musée Girodet (ill. 1), que S. de La Chapelle date de 1788 (en parlant de l’exemplaire en plâtre du musée des Beaux-Arts de Lyon)5 : l’artiste s’est représenté drapé à l’antique, tenant dans sa main gauche un ciseau de sculpteur. Le lion symbolique allongé derrière lui traduit ostensiblement son attachement à sa patrie. La comparaison des deux versions révèle quelques différences : le col d’une chemise apparaît dans la seconde, les doigts de la main droite se dissimulent davantage sous le pli. Détail plus signifiant, l’artiste a actualisé sa physionomie en gravant dans le marbre les signes du temps – bas du visage épaissi, cernes marqués sous les yeux. L’âge au contraire n’a pas eu de prise sur le corps, dont le caractère héroïque est accentué : si Chinard s’est inspiré d’une statue d’Eschine (Naples, Museo Nazionale) comme le suggère J. D. Draper, il n’en a pas imité le drapé très plissé et a cherché, au contraire, à lui faire épouser le nu, le relief des pectoraux et des abdominaux se dessinant plus nettement que dans l’exemplaire de jeunesse.
En dépit de la posture statique et du format deminature de la figure, son canon athlétique traduit bien le caractère d’un homme porté à l’action. Toutes ses descriptions rapportent d’ailleurs à la fois l’impression de force physique et le charisme qui émanaient de sa personne : « M. Chinard était grand et fort », se souvient Jean-Baptiste Dumas, « il avait les cheveux touffus, noirs et bouclés ; ses yeux, ces organes de l’âme, étaient ouverts et ardens ; ses traits, quoiqu’irréguliers, lui composaient une figure d’un grand caractère, et semblaient respirer le génie. C’était, suivant l’expression vulgaire et juste, une véritable tête d’artiste6. » Augustin Jal se le rappelle « grand, fort, portant haut une assez belle tête coiffée de cheveux noirs, épais et bouclés. Son regard vif m’imposait beaucoup7 ».
Après des années d’oubli, la redécouverte de Chinard en 1910, à l’occasion de l’exposition que lui consacra le musée des Arts décoratifs de Paris, a marqué pour son autoportrait en marbre le début d’une longue errance. Lorsque ses descendants réalisèrent que les oeuvres de leur aïeul valaient quelque prix, ils l’enlevèrent de son tombeau pour le vendre, et il n’a plus depuis trouvé de demeure durable, quoiqu’il fût, comme J. D. Draper le disait de son modèle en terre cuite, « l’un des autoportraits les plus maîtrisés de la période néoclassique8 ». (M.K.)
1. Journal de Lyon, 25 juin 1786, cité par S. de La Chapelle, « Joseph Chinard, sculpteur. Sa vie et son oeuvre », Revue du Lyonnais, août 1896, p. 84.
2. Bruno Marty, « Des artistes lyonnais francs-maçons dans le procès du comte de Cagliostro (1789-1790), Travaux de l’Institut d’histoire de l’art de Lyon, cahier n° 14, 1991, p. 133.
3. L’affaire est bien analysée par Thomas Crow, L’Atelier de David. Émulation et Révolution, Paris, 1997.
4. La Chapelle, décembre 1896, p. 423 et 439.
5. Idem, p. 431, à propos de l’exemplaire en plâtre du musée des Beaux-Arts de Lyon.
6. Jean-Baptiste Dumas, Notice sur M. Chinard, statuaire, lue dans la séance publique de l’Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, du 30 août 1814, Lyon, 1814, p. 14.
7. Dictionnaire critique de biographie et d’histoire : errata et supplément pour tous les dictionnaires historiques d’après des documents authentiques inédits, Paris, 1867, p. 386.
8. Draper, 2003, p. 41.
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