Le nom de Fabre est, avec ceux de Drouais, de Gérard, de Girodet, de Gros et d’Isabey, l’un des titres de gloire de Louis David. Rejoignant l’atelier que ce jeune maître vient d’ouvrir à son retour de Rome en 1781, ces premiers élèves vont constituer la relève de l’école française, non sans d’âpres rivalités parfois. Pour augmenter ses chances au concours de peinture historique de 1787, qu’en définitive il remportera, Fabre n’hésite pas à faire disqualifier son condisciple Girodet en dénonçant les études corrigées par leur maître que ce dernier a rapportées en loge. Devenu pensionnaire de l’Académie de France à Rome, dans le cadre des travaux académiques réglementaires, Fabre va d’abord explorer le langage de la modernité par ce qui la définit en premier lieu, le nu masculin, se mesurant sur ce terrain à son aîné Drouais, avant d’être de nouveau concurrencé par Girodet, qui le rejoint comme lauréat du prix de 17891. Le renversement de la monarchie jette un trouble dans la communauté artistique française en 1792 : Fabre n’est pas aux côtés des davidiens qui embrassent la cause républicaine. Tandis que la mise à sac du palais Mancini, siège de l’Académie, et la traque de patriotes français les dispersent à travers la Péninsule, c’est à Florence que Fabre choisit de se rendre et d’attendre la fin de la Révolution pour, finalement, s’y établir durablement.

La sympathie que lui témoignent la comtesse d’Albany et son compagnon le poète Alfieri, qui se sont installés à Florence après avoir fui Paris en août 1792, va établir la renommée de l’artiste émigré. Les aristocrates anglais et russes qu’il rencontre dans le salon de la comtesse fournissent le principal contingent de sa première clientèle, le contraignant toutefois à délaisser la peinture d’histoire pour le portrait. Tandis qu’il renoue avec les autorités françaises sous le Consulat et s’attache les faveurs de certains membres du personnel de l’Empire et des Napoléonides, au moment du rattachement de la Toscane à la France, Fabre n’en reste pas moins à l’écart du milieu hyperconcurrentiel de Paris, élargissant ses liens avec le monde culturel italien. Florence, qu’il ne quittera qu’en 1825, et Montpellier, sa ville natale avec laquelle il garde de fortes attaches et où il se retire à la fin de sa vie, sont les deux pôles qui magnétisent sa carrière. Le musée qui porte aujourd’hui son nom, créé à partir de sa collection léguée à la ville de Montpellier, conserve aujourd’hui la plupart de ses oeuvres2.

Parmi les hauts fonctionnaires français établis à Florence sous l’Empire, Fabre noue des liens privilégiés avec le payeur général de Toscane Charles Sébastien Scitivaux (1775-1844). Comme nombre d’entre eux (Cacault, Fesch, Miollis), Scitivaux contracte le goût de la peinture ancienne et Fabre joue auprès de lui un rôle de conseil, de restaurateur et peut-être même de courtier. C’est sans doute par son intermédiaire que Scitivaux acquiert la Madone de Lorette alors considérée comme de Raphaël (en réalité, une copie de l’original conservé à Chantilly), que le peintre restaure en 1813. Six des tableaux de sa collection, estimée à cinquante mille écus en 1815, seront acquis par les musées royaux en 1821 pour un montant de cent mille francs, après plusieurs années de tractations auxquelles prirent part Fabre, Blacas et le comte de Forbin: en plus de la copie d’après Raphaël furent achetés la Vierge et l’Enfant entourés de saint Jean-Baptiste et de sainte Catherine de Pérugin, la Madeleine en prière de Cerrini, Saint François d’Assise en prière de Lorenzo Lippi, et deux Annonciations, l’une d’après Andrea del Sarto (déposée au musée des Beaux-Arts de Tours), l’autre, donnée au même auteur, étant disparue3. L’acquisition par Scitivaux, devenu receveur général des finances du Tarn-et-Garonne en 1831, du Lévite d’Éphraïm de Couder et surtout de la petite version de Roger délivrant Angélique d’Ingres, prouve qu’il ne fut pas qu’un collectionneur occasionnel.

La commande à Fabre de son portrait, aujourd’hui non localisé, était jusqu’à présent documentée par une lettre non datée conservée dans le fonds Fabre-Albany4, mais rien ne laissait supposer l’existence de portraits d’autres membres de la famille, tel celui de sa fille Caroline Frédérique Mélanie Scitivaux. Les traits délicats de l’enfant, née à Soissons en 1800, ne sont pas encore ceux d’une adolescente. Sa mise sobre est plutôt celle de la vie quotidienne, et les seuls ornements du peigne5 et des boucles de corail suffisent à introduire de la couleur en faisant écho à celle de sa bouche. Le choix du format ovale, beaucoup plus courant chez Fabre que chez les portraitistes contemporains, rappelle l’intérieur bourgeois de l’Empire. Plus inhabituelle dans ce genre d’exercice est la technique de l’huile sur papier marouflé sur toile, d’ordinaire réservée à la pratique plus précaire du plein air, ou à celle plus expérimentale de l’esquisse historique. Des portraits présentés dans l’exposition de 2008, seule l’étude du jeune roi d’Étrurie6 procède de ce modus operandi. Celui-ci peut être le signe d’une ébauche réalisée dans un contexte informel plutôt que dans l’atelier.

En 1820, Caroline Scitivaux fera un bon mariage en épousant Alexandre-Pierre Moline de Saint-Yon, ancien officier d’ordonnance de Napoléon, ayant fait une carrière de librettiste sous la Restauration, avant de reprendre du service sous la monarchie de Juillet, qui le fera général, pair de France et ministre de la Guerre. (M.K.)

 

 

 

 

1. Voir Thomas Crow, L’Atelier de David. Émulation et Révolution, Paris, Gallimard, 1997, p. 157-163.
2. Les éléments de cette notice sont empruntés aux travaux de Laure Pellicer, dont l’essentiel se trouve réuni dans le catalogue de l’exposition qu’elle a dirigée avec Michel Hilaire, François-Xavier Fabre (1766-1837), de Florence à Montpellier, Montpellier, musée Fabre, 2007.
3. Hélène Sécherre, « Le marché des tableaux italiens à Paris sous la Restauration (1815-1830) : Collectionneurs, marchands, spéculateurs », dans M. Preti-Hamard et Ph. Sénéchal (éd.), Collections et marché de l’art en France 1789-1848, Rennes, PUR, 2005, p. 166-167, 178, et Michel Hilaire, « De Florence à Montpellier : le destin singulier de François-Xavier Fabre, collectionneur et fondateur du musée », dans Blandine Chavanne, Chantal Georgel et Hélène Rousteau-Chambon (dir.), La Collection Cacault. Italie-Nantes, 1810-2010, Paris, INHA (« Actes de colloques »), 2016, mis en ligne le 2 septembre 2016. URL : http://inha.revues.org/6975
4. Léon G. Pélissier, Le Fonds Fabre-Albany. Correspondances du peintre F. X. Fabre et de la comtesse d’Albany à la bibliothèque municipale de Montpellier, Leipzig, 1900, p. 41.
5. Élisa Napoléone Baciocchi arbore le même dans son portrait de 1812 conservé à la Bibliothèque Marmottan, voir Laure Pellicer et Michel Hilaire, François-Xavier Fabre. De Florence à Montpellier (1766-1837), cat. exp. Montpellier, musée Fabre, 2008, cat. 200, repr. p. 377.
6. Idem, cat. 122, p. 269, repr

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