• Ill. 1 : Louis-Jacques Durameau, Le Martyre de saint Cyr et de sainte Juliette, Salon de 1767, huile sur toile, 337 x 160 cm, Paris, Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Ce truculent morceau de peinture, naguère donné à François-Guillaume Ménageot, puis attribué à Jean-Baptiste Marie Pierre, porte selon nous la marque du talent original de Louis-Jacques Durameau. Le sujet correspond bien au tempérament énergique de ce contemporain de Fragonard, dont la critique louait de son vivant le « dessin mâle », le « génie chaud dans l’exécution ». Élève de Pierre, Prix de Rome de 1757, Durameau s’est en effet acquis une place sur l’échiquier artistique de son temps par de grandes compositions allégoriques et religieuses, pleines de feu, mais ne dédaigna pas les petits tableaux de genre et d’histoire tels qu’a pu en produire son maître.

Cette solide et rude figure du peuple, qui est en fait un abatteur, présente certaines affinités avec des bourreaux du Martyre de saint Cyr (ill. 1)1, où l’on retrouve, dans les expressions, la même tension, et dans les membres musclés, la même puissance du geste à l’arrêt. Exercé à Paris par une corporation turbulente et orgueilleuse, ce métier, rattaché à la fonction de bourreau, était peu populaire sous l’Ancien Régime.

En peinture, malgré la référence à une oeuvre d’une grande force (La Boucherie de A. Carrache, Oxford, Ashmolean Museum), le sujet était rare. Il a peut-être fait l’objet d’une commande particulière mais, en tout état de cause, n’a pas rebuté Durameau, attiré par le poids de la réalité qu’il exprime en campant dans cette scène de genre un puissant abatteur prêt à assommer, à coups de merlin, le bovin auquel on a mis le chable, c’est-à-dire la corde passée autour de ses cornes. Le peintre décrit avec minutie l’intérieur de l’abattoir, avec la poulie qui permettra d’élever le boeuf et de le dresser sur le côté en vue de la saignée, ainsi que la cheville, barre de fer à laquelle on suspend la bête. C’est aussi avec réalisme qu’il détaille, à côté du traditionnel gigot, l’attirail du boucher appelé sa boutique, c’est-à-dire l’étui de ses instruments placés sur la table et dont l’Encyclopédie de Diderot (1re partie, 2 pl.) nous enseigne les noms : couperet, fusil, lancette, croc, couteau.

Le schéma simple de la composition s’établit sur un clair-obscur fortement contrasté qui met l’accent sur la blancheur du tablier en grosse toile et joue sur les dalles du sol, en forme de pavés. Plongé dans la pénombre où une petite bougie éclaire l’image encadrée de la Vierge, le fond de la salle est animé d’une figure à contre-jour, celle d’un apprenti-boucher qui n’est pas sans rappeler les personnages librement esquissés de l’Imprimerie secrète (Paris, Fondation Custodia)2.

En dernier lieu, demandons-nous si cet abatteur pourrait désigner un boucher romain, comme l’indique le catalogue de la vente de 1986. Il n’est pas impossible que Durameau ait exécuté ce sujet à la fin de son séjour en Italie (1764), à une date proche du Martyre de saint Cyr ou de la Mort de Patrocle où l’on retrouve le même parti stylistique d’une masse lumineuse qui inonde la scène. Le choix du sujet fortement réaliste, allié à un pinceau large et assuré, révèle un désir de réaction contre la « petite manière » de Boucher. Quant à l’observation détaillée du taureau, rendu avec un sens flamand du réel, elle permet d’évoquer les recherches de ses contemporains, les pastorales d’un Deshayes ou la série de taureaux d’un Fragonard. (Anne Leclair)

 

 

1. Leclair, 2001, n° P. 24, p. 131-132.
2. Ibid., n° P. 117, p. 184-186, repr.

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