Peu connu au-delà des frontières de son pays, Pehr Hilleström est le plus important peintre de genre de l’ère gustavienne, incarnant profondément, par ses représentations des différentes classes du royaume, l’identité suédoise au temps des Lumières. Aîné d’une famille modeste de douze enfants, il grandit sur l’île de Väddö, dans la province orientale du Roslagen. Lorsque la famille s’installe à Stockholm en 1743, il est confié au peintre de paysage et décorateur Johan Philip Korn et devient en même temps l’élève de Guillaume Taraval et de Jean Eric Rehn à l’Académie royale des beaux-arts. Placé en apprentissage auprès du tisserand de haute lisse Pierre Louis Duru, chargé des décorations textiles du palais royal, Hilleström consacre sa jeunesse à cet art, dans lequel il excelle rapidement, achevant les travaux de son maître à sa mort avec un égal succès. Un voyage à Paris en 1757-1758, pour y découvrir les manufactures des Gobelins et de la Savonnerie, marque sa rencontre avec la peinture, d’abord en la personne de Boucher, dont il prend des leçons, mais surtout de Chardin, dont il fréquente la classe à l’Académie après avoir été vivement frappé par la découverte de ses oeuvres. Cependant, sa pratique picturale ne se développe véritablement qu’avec l’avènement de Gustave III, en 1771, qui devient son premier mécène et le nomme peintre de la cour en 1776. De la faveur royale, observée par la cour et la grande bourgeoisie, naît un véritable engouement. En acclimatant le modèle de Chardin en Suède, Hilleström comblait une lacune de la peinture nationale, jusqu’alors essentiellement consacrée au paysage, au portrait et à la décoration. Ses scènes d’intérieur, de métiers et de théâtre connaissent, en raison de leur nouveauté et de leur charme pittoresque, un succès prodigieux. Nommé professeur à l’Académie royale en 1794, il en deviendra
le directeur en 1810.

Ni le sujet ni le genre de la Femme saisissant une puce à la lueur d’une bougie ne sont nouveaux. Dérivé du caravagisme, la scène de genre nocturne a connu une grande fortune dans la peinture européenne du XVIIe siècle. Le thème de la femme à la puce, quoique rare, a par ailleurs été magistralement interprété par Georges de La Tour, dans un registre ténébriste (Nancy, musée des Beaux-Arts), et, avec des moyens différents mais non moins séduisants, par Giuseppe Maria Crespi (Paris, musée du Louvre ; Florence, musée des Offices). Chez Hilleström, ces deux données traduisent le goût de la caractérisation sociale : la puce et l’économie de la chandelle désignent la classe de sa protagoniste – très probablement incarnée par son épouse Ulrica Lode, son modèle favori. Mais l’intérêt du tableau est ailleurs. Hilleström, qui n’a pas négligé d’étudier la peinture flamande et hollandaise à son retour de France, a poussé la recherche d’effets luministes dans un sens éminemment nouveau, créant un sous-genre qui n’appartient qu’à lui. Affectionnant la plasticité des jeux d’éclairage artificiels, il a su tirer un parti très original des ombres portées et des contre-jours : dans la composition structurée par le puissant contraste entre la lumière et le paravent qui dissimule sa source, l’ombre de la femme prend une proportion surprenante. Si le style de Hilleström n’a pas le raffinement de celui de ses contemporains français, ses intuitions visuelles et ses inventions plastiques traduisent une modernité qui lui mériterait une plus grande place dans l’histoire de l’art européen de son temps. (M.K.)

 

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