• Ill. 1 : Philotée-François Duflos, Ruines du temple de la Concorde sur le Campo Vaccino à Rome, eau-forte, 14,2 x 21,5 cm, Londres British Museum

La mort précoce de Philothée-François Duflos et le nombre très restreint de ses peintures aujourd’hui connues expliquent qu’il soit tombé dans l’oubli. Notre méconnaissance de sa vie est même plus grande depuis qu’un document d’archive est venu démentir une tradition biographique remontant au début du XXe siècle, selon laquelle il aurait été le fils du graveur du roi Claude Duflos (1665-1727), fondateur d’une dynastie de graveurs et marchands d’estampes actifs à Paris et à Lyon au XVIIIe siècle1. Cet élève de l’Académie royale de peinture et de sculpture, lauréat du prix de Rome de 1729, a pourtant connu le succès à Rome à partir de 1733, date à laquelle il a été accueilli comme pensionnaire du roi au palais Mancini, où ses copensionnaires se nomment Blanchet, Subleyras, Slodtz, Soufflot.

On doit à des sources romaines l’essentiel de nos connaissances sur son art. La correspondance de Nicolas Wleughels et de Jean-François de Troy, directeurs successifs de l’Académie de France, rapporte ses mérites dans le domaine de la peinture, et plus particulièrement dans la pratique de la copie d’après les maîtres, à laquelle étaient astreints les pensionnaires en contrepartie de la protection royale. Jaugeant le talent de son nouvel administré, Wleughels reconnaît qu’il « ne manque pas de génie ; il dessine avec soin, a un assez beau pinceau ». Ses copies d’après L’École d’Athènes de Raphaël et la Bataille d’Arbelle de Pierre de Cortone2, très bien accueillies à Paris, ont confirmé ce premier jugement. En 1742, lorsque de Troy loue en lui un élève qui a « passé le plus beau de sa jeunesse à faire des copies pour le Roy, sans autre fruit que la pension3 », c’est pour tenter de lui conserver la bienveillance des autorités de tutelle au moment où l’artiste, achevant son pensionnat, songe peut-être à regagner Paris pour solliciter à la fois des commandes et l’agrément de l’Académie. Mais une autre activité, qu’il pratique avec profit probablement depuis ses débuts, va le retenir à Rome.

Son talent de graveur à l’eau-forte, dans la lignée des védutistes français depuis Stefano della Bella et Israël Silvestre, lui a valu une grande renommée dans le milieu des amateurs et mécènes romains. En témoignent ses participations à de prestigieux recueils de vedute et d’antiquités publiés à Rome et à Florence au milieu du XVIIIe siècle4. Peu après son arrivée, il exécute quinze planches des somptueux volumes de l’Antiqua numismata maximi moduli aurea de Ridolfini Venuti, publié en 1739 par la Calcografia Camerale, tout juste créée par Clément XII. Il est également l’auteur de quatre gravures, dont trois d’après ses propres dessins, du Secondo libro del nuovo teatro delle fabbriche e edifici fatte fare in Roma e fuori di Roma dalla Santità di Nostro Signore Papa Clemente XII, publié la même année. Mais son nom est surtout passé à la postérité pour être accolé à celui de Piranèse, avec lequel il grave les Vedute delle ville di Firenze, d’après des compositions de Giuseppe Zocchi, publiées en 1744, et les célèbres Varie vedute di Roma antica e moderna disegnati e intagliati da celebri autori, publiées en 1748 par Fausto Amidei. Divers témoignages enregistrent le prestige que ces contributions lui valent, telle une notice biographique de Gabburri le désignant, en 1739, comme « jeune doué d’esprit et de talent [...] donnant de grandes espérances5 », ou une caricature de Pier Leone Ghezzi, datée de 1744, dont la légende qualifie Duflos de « jeune très méritant dans la peinture, tant de figures que de paysages et tout ce qui sort de ses mains est très parfait [...]. Il grave très bien à l’eau-forte6

La correspondance de de Troy nous apprend que Duflos n’aurait probablement pas quitté la Ville éternelle si son état de santé ne l’y avait contraint, car « l’air de Rome lui est devenu contraire, et les maladies fréquentes dont il a été attaqué ne lui ont pas permis, par le conseil des médecins, de rester plus longtemps dans ce pays7». Parti en mars 1745, il s’arrête à Lyon où la recommandation de de Troy, qui vient d’y réaliser une importante commande religieuse pour l’église Sainte-Croix, peut lui procurer des travaux. Daté de cette année même, notre Paysage fluvial avec des ruines romaines, seule oeuvre de sa période lyonnaise à nous être parvenue, montre que l’artiste a d’abord eu besoin de peindre des paysages pour se procurer des ressources.

Fortement empreint de l’art du védutiste, ce caprice puise son inspiration dans le répertoire de motifs que constitue l’oeuvre gravé de Duflos : le temple de la Concorde, qu’il a gravé naguère (ill. 1), ainsi que des fabriques rustiques telles qu’en offre la campagne italienne, sont ainsi introduits dans une topographie rhodanienne que baigne une lumière plus française que méridionale. Quoique de faibles proportions, les figures pleines de naturelles démontrent l’excellence de Duflos dans cette partie de l’art, qu’il devait développer l’année suivante dans deux tableaux d’autels destinés à l’église Sainte-Croix, aujourd’hui disparus. (M.K.)

 

 

1. Cette assertion de P. Pellot (« Les Duflos graveurs ; leur oeuvre et leur famille », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des Départements, 29e session, 1905, p. 383-395), reprise par Michael McCarthy (« Philothée-François Duflos (c. 1710-1746) : three unpublished drawings », The Burlington Magazine, avril 1985, p. 218-225), a été infirmée par Sylvie Martin-de Vesvrotte et Henriette Pommier, grâce au testament de l’artiste, voir Dictionnaire des graveurs-éditeurs et marchands d’estampes à Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles. Catalogues des pièces retrouvées, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002, p. 62, N. 245.
2. La première (huile sur toile, 5,76 x 7,97 m) est conservée au Palais des beaux-arts de Lille ; la seconde n’est pas localisée.
3. De Troy à Orry, 27 octobre 1741, A. de Montaiglon et J. Guiffrey (éd.), Correspondance des directeurs de l’Académie de France à Rome, IX : 1733-1741, Paris, Charavay frères, p. 492.
4. Toutes les informations relatives à son activité de graveur sont empruntées à McCarthy, 1985.
5. «… bravo giovane dotato di spirito, e di talento [...] dando grandi speranze di sè », cité par McCarthy, op. cit., p. 222 et N. 18.
6. «… bravissimo giovane nella Pittura, tanto in figure come anche ne’Paesi e tutto quello che esce dalle sue mani e perfettissimo [...]. Intaglia ad acquaforte molto bene », ibid., p. 222, caricature repr. p. 223, ill. 47.
7. De Troy à Orry, 31 mars 1745, op. cit., X : 1742-1753, p. 81-82.

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