Johan Fredrik Martin reçoit sa formation de son frère Elias (1739-1818), l’un des premiers artistes du règne de Gustave III (1). Il l’accompagne en Angleterre, où Elias a trouvé un environnement plus en adéquation avec ses aspirations qu’en France, où il séjourna entre 1766 et 1770. Tandis que son frère aîné, nommé membre de la Royal Academy, répond aux nombreuses commandes de paysages que son talent suscite, Johan se forme à la gravure auprès des deux plus talentueux graveurs du roi, William Woollett et Francesco Bartolozzi. De retour en Suède en 1781, il exerce d’abord dans l’ombre de son frère, traduisant en estampes les modèles que ce dernier lui fournit. Johan s’émancipe au cours d’une suite de voyages à travers la Suède, entre 1784 et 1787, qui lui fourniront les motifs de nombreuses planches. Mais c’est avec la série des vues de Stockholm, exécutées en collaboration avec Elias, que s’établit sa renommée dans les années 1790. Ces planches doivent leur succès à une méthode mystificatrice éprouvée de longue date (voir cat. 1 à 4) et qui vient de faire la fortune d’associations entre dessinateurs et graveurs à Rome, tels Desprez et Piranèse fils ou Ducros et Volpato. Enluminées par le dessinateur des modèles, découpées au coup de planche et collées sur des montages au lavis ornés de cartels, ces gravures au trait passaient pour d’authentiques dessins.


Il n’en est pas ainsi des Chutes de Trollhättan, l’un des exemples les plus séduisants du talent de Martin comme aquarelliste. Les rapides et cascades spectaculaires qui animent le cours du Göta Älv à la hauteur de Trollhättan, à moins de cent kilomètres au nord de Göteborg, en ont fait le théâtre de combats illustres de la mythologie scandinave, et l’un des hauts lieux du tourisme nordique. Martin en a saisi le point de vue plongeant le plus impressionnant, au-dessus des chutes de Gullö et de Toppö, un endroit particulièrement prisé des voyageurs et dont la contemplation devait d’ailleurs rappeler, un peu plus tard, à Georg Löwegren des vers du roi Lear étourdi par les flots : « Je ne veux plus regarder ; la cervelle me tournerait, et le trouble de ma vue m’entraînerait tête baissée dans l’abîme (2). » Le déversement d’eau bouillonnante qui occupe la majeure partie du champ visuel exprime bien le côté sublime du lieu, accusé aussi par le contraste de la sombre falaise avec les îlots de sapins et la poignée de baraques semées en bordure du fleuve. Le style graphique et la gamme chromatique dénotent l’influence de Louis-Jean Desprez (1743-1804), l’ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, dessinateur de paysage et d’architecture, débauché par Gustave III en 1784 pour en faire son premier architecte et scénographe. Le sujet augmente le rapprochement avec cet artiste coutumier des topographies sensationnelles et dont Martin a été le graveur occasionnel. La feuille est aussi un parfait exemple de la reproduction dans le Nord d’un commerce artistique devenu prospère en Italie grâce phénomène du Grand Tour. L’existence de plusieurs exemplaires de cette composition, avec des variantes mineures (3), atteste le succès que lui a valu sa circulation parmi les amateurs locaux. (M.K.)


 

 

1. Il n’existe pas de biographie de l’artiste en français, voir Nordisk familjebok, X, 1886, p. 1011-1012.

2. A Trip to Trollhättan in a Series of Letters, Göteborg, 1813, p. 9. Voir aussi Anders Fredrik Skjölderbrand, Description des cataractes et du canal de Trollhätta en Suède, Stockholm, 1804.

3. Stockholm, Nationalmuseum, inv. NMH 69/1921 ; Stockholm, Bukowskis, 31 novembre 2005, n° 812 ; idem, 29 mai 2000, lot 345.

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