• ill. 1. Louis Rouhier, Obelisco Panfilio, eretto dalla santita di N.S. Innocentio X in Piazza navona sopra la nobilissima, et maravigliosa fontana inventione et opera del Cavalier Gio: Lorenzzo Bernino, scoperta li 12 giugnio 1651 parte orientale. Gravure, 48 x 37 cm. Collection particulière.

D’origine parisienne, Thomas Blanchet est une figure stratégique de la scène artistique lyonnaise du XVIIe siècle. Il se forme d’abord à Paris dans l’atelier du sculpteur Jacques Sarrazin, puis passe probablement dans celui de Simon Vouet lorsqu’il décide, assez tôt, de se consacrer à la peinture. Il se rend en Italie à une date inconnue, sa présence à Rome étant documentée de 1647 à 1653 dans les stati delle anime, recensements paroissiaux des « âmes », sous les noms exotiques de Tomaso Blance, Monsù Blancis ou Thomaso Blangett1. L’essentiel de sa production romaine connue est composé de caprices architecturaux peints dans le style de Jean Lemaire et sous l’influence de Poussin. Mais l’expérience romaine fut bien plus riche et complexe que ce corpus ne le laisse supposer. Les noms d’Andrea Sacchi et de l’Algarde sont, en plus de celui de Poussin, fréquemment cités par ses biographes comme ceux des artistes qui ont le plus durablement conditionné son art. Il est l’élève du premier et est tenu en haute estime par le second. Toutefois, sa carrière lyonnaise montrera également l’assimilation de modèles baroques, tels ceux de Pierre de Cortone, dans la peinture décorative, de Borromini, dans les ornements architecturaux, ou du Bernin pour la sculpture. En 1655, il s’installe à Lyon et devient le peintre officiel de la cité : il décore l’Hôtel de Ville (1655-1672), l’abbaye des Dames-de-Saint-Pierre (1674-1684, actuel musée des Beaux-Arts), conçoit les décors éphémères pour les fêtes, cérémonies et pompes funèbres, souvent en collaboration avec le père jésuite Ménestrier. Lorsqu’il reçoit, en 1675, la charge de Premier Peintre de la ville, il en est déjà le « Le Brun ».

La vogue des peintures de ruines s’est développée à Rome dans l’entourage de Poussin, qui a initié ce courant par une étude assidue des monuments de la Rome antique en vue d’agrémenter ses paysages, mais aussi par émulation avec son mécène et ami l’antiquaire Cassiano dal Pozzo, passé à la postérité pour avoir composé le Museo Cartaceo (musée de papier), avec le concours du peintre et de son entourage. Lorsque Thomas Blanchet arrive à Rome dans les années 1640, plusieurs peintres français se sont fait une spécialité de ce genre, tels Jean et Pierre Lemaire, Charles-Alphonse Dufresnoy, mais aussi l’Italien Viviano Codazzi2. Quoique sa formation et son réseau témoignent de son aspiration à devenir un peintre du grand genre, ce sont ses capricci et ses prospettive qui valent à Blanchet l’estime du milieu artistique romain et le succès auprès des amateurs : « il se rendit bientôt si célèbre dans la peinture des fabriques et des perspectives qu’il put vivre dans l’aisance. […] le nom du signor Tomaso retentissait dans tout Rome, tant qu’il pensa faire fortune grâce à ces petits tableaux3. » Blanchet ne se limita d’ailleurs pas à peindre des formats réduits et développa ses caprices sur des toiles d’imperatore, telles que le Caprice architectural avec la Fontaine des Quatre Fleuves, de longue date conservé dans une grande collection campanienne et jusqu’à présent inédit.

La structure orthogonale de sa composition, faisant se croiser les verticales des monuments et l’horizon architecturé, est typique de l’artiste, de même que la bande de montagnes bleutées dans le lointain. Le talent de Blanchet se révèle également dans la définition de l’atmosphère, caractérisée par la brume s’élevant du sol et voilant le ciel sur une large bande de manière à mieux dessiner les édifices à contre-jour. L’introduction d’un monument contemporain dans un caprice dépourvu d’épisode historique est en revanche beaucoup plus rare dans le corpus de l’artiste ; elle impose le parallèle entre les Anciens et les Modernes comme le véritable thème du tableau, préfigurant ainsi le développement spectaculaire que Giovanni Paolo Panini et Hubert Robert allaient lui donner au siècle suivant. Ce parallèle est exprimé en termes plastiques par une dialectique des contraires dans une composition partagée en deux moitiés rigoureusement identiques, dévolues, l’une, à un arc de triomphe antique inspiré de celui de Constantin, l’autre, à la Fontaine des Quatre Fleuves du Bernin : plein et vide, pesanteur et légèreté, angles et courbes s’y opposent. La perspective de l’arc est construite de manière à faire de l’oeuvre du Bernin le point focal où se croisent toutes les lignes de fuite.

Réalisée par le sculpteur et son atelier entre 1649 et 1651 au centre de la Piazza Navona à Rome, la Fontaine faisait partie du programme d’embellissements voulu par Innocent X Pamphilj à l’emplacement du fief de sa famille. Blanchet, qui assista probablement à son inauguration, a donc choisi un monument emblématique de la Rome pontificale moderne, peut-être pour répondre aux visées courtisanes de quelque commanditaire qui aura requis que le nom du pontife soit lisible à la base de l’obélisque. Blanchet ayant quitté Rome en 1654, notre caprice architectural est donc l’une des premières représentations connues de la Fontaine des Quatre Fleuves, avec les gravures de Louis Rouhier (ill. 1) publiées l’année même de l’inauguration du monument. (M.K.)

 

 

 

1. Voir Lucie Galactérosde Boissier, Thomas Blanchet. 1614-1689, Paris, Arthena, 1991, p. 51.
2. Sur Blanchet comme peintre de caprices architecturaux voir Giancarlo Sestieri, Il Capriccio architettonico in Italia nel XVII e XVIII secolo, Rome, Etgraphiae, 2015, p. 84-93.
3. Joachim von Sandrart, L’Academia todesca della architectura, scultura e pittura, oder Teutsche Academie […], Nuremberg, 1675-1679, 2 vol., rééd. Nuremberg, 1925, p. 339-340, cité d’après Galactéros-de Boissier, 1991, p. 562.

 

 

 

 

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