« À ma sortie des Beaux-Arts, en 1976, épris de Fluxus, je me suis posé la question d’abandonner ou non toute pratique artistique. Dans le doute, j’ai passé un an à dessiner avec un bonheur fou des dessins au stylo-bille sur du papier à lettres. Voici une des origines possibles de ma passion pour le dessin1. » Depuis la fin des années 1970, comme il le rappelait dans un entretien donné à Philippe Piguet en 2012, le dessin est resté le moteur principal et le noyau dur de l’activité artistique de Christian Lhopital – sur papier ou mural –, bien qu’un travail de sculpture se soit développé en parallèle depuis près de vingt ans – installations réunissant des peluches figées dans du gesso. Son univers graphique très personnel compte des personnages hybrides, souvent fantomatiques, des silhouettes animales, ou des visages en forme de ballons gonflables, qui interagissent dans des espaces nébuleux souvent difficiles à décrire, entre rêve et cauchemar. À propos des baudruches grotesques, prêtes à exploser, Jean-Hubert Martin, commissaire cet automne de l’exposition personnelle de Christian Lhopital, « Danse de travers » au Drawing Lab (Paris), évoque celles que Francis Picabia met en scène dans le film Entracte de René Clair. Les dessins de Lhopital sont hantés. Ils épinglent une vision fugitive, saisissent une image tout droit sortie de l’imaginaire, attrapent au vol une perception, quelque chose que l’oeil n’a pas encore eu nécessairement le temps d’analyser. Par un effet d’anamorphose, quand le regard s’attarde, certains motifs ou figures peuvent tout à coup être interprétés de plusieurs façons : un lourd nuage s’avère être une cuisse, la tête d’un diablotin se mue en un panache de fumée… Christian Lhopital se place constamment à ce point d’équilibre instable entre des situations contradictoires, entre le comique et le dramatique, entre l’inquiétant et le réconfortant, de la caricature qui fait sourire à la catastrophe macabre. Il admire à ce titre la puissance magistrale du cinéma de Buster Keaton où l’on « retrouve toute la fragilité de l’être humain, sa résistance et sa force2 ».
 

De cinéma, d’ailleurs, il en est évidemment question dans la série des Cinématiques ouverte il y a vingt ans avec « Broken Shadows », alimentée chaque année depuis, et dont nous présentons trois feuilles tirées
de l’ensemble intitulé « Rotation » réalisé en 2016 et 2017. Dans un entretien donné au Petit Bulletin en 2016, Christian Lhopital analyse la mécanique des dessins de cette série par le prisme cinématographique : « mes séries dites “cinématiques” relèvent presque de la danse et surtout du cinéma. Les personnages, les motifs sont comme dédoublés (mais en réalité ils sont légèrement différents) à la manière des photogrammes d’une pellicule de cinéma, avec l’idée que ce mouvement ne s’arrêterait jamais… Ce qui m’intéresse ici c’est le “presque pareil”, la copie et la variation, les similitudes et les petites différences. Il se passe beaucoup de choses entre deux personnages, dans les interstices, dans les failles… Ce dédoublement infini a un rapport avec ce que je
pourrais appeler mon “cinéma intérieur ”3. »

 

Dans ses dessins muraux, qu’il réalise à la poudre de graphique sur des surfaces très vastes, l’artiste opère une rupture d’échelle radicale. Le mur s’apparente alors à un écran de cinéma. Une surface sur laquelle
l’image se dépose, à peine saisie par la matière volatile, une image inscrite dans une temporalité, elle se dégrade rapidement, et relève plus de la projection éphémère que de la permanence de la peinture ou de la fresque. Depuis 1999, c’est-à-dire depuis qu’il a entamé les Cinématiques, Christian Lhopital réalise quasiment systématiquement des dessins muraux quand une exposition, personnelle ou collective, lui est proposée dans un centre d’art, une fondation ou un musée. Il apprécie particulièrement le surdimensionnement et le vertige provoqué par le mur blanc qui impose une implication totale du corps, une expérience physique totale. Au printemps dernier, il créait son vingtième dessin mural au GMoMa de Ansan en Corée-du-Sud, A Kind of Mind – vue de l’esprit, qui mesurait 6 mètres de hauteur par 20 de large. Il a également réalisé des dessins spectaculaires au Domaine de Kerguéhennec en 2015, à la Fondation Salomon près d’Annecy, au CRAC de Sète en 2004 ou au Mamco de Genève en 2003. Soutenu avec une fidélité exemplaire par la galerie Domi Nostrae (Lyon), Christian Lhopital a présenté son travail dans des expositions importantes ces dernières années, des événements qui lui ont permis d’acquérir une notoriété nationale, voire internationale. En 2011, la commissaire sud-américaine Victoria Noorthoorn l’a invité à participer à la 11e Biennale d’art contemporain de Lyon, « Une terrible beauté est née », puis, deux ans plus tard, le musée de Saint-Étienne lui a consacré un accrochage considérable, « Splendeur et désolation ». Ces rendez-vous, déterminants dans la carrière d’un artiste, sont également des circonstances favorables
à l’auto-examen de sa pratique et à la remise en question de façons de faire qui s’érodent, qui s’épuisent. L’artiste reconsidère régulièrement ses moyens plastiques et n’hésite pas à expérimenter de nouvelles manières de faire parler la poudre, le crayon ou l’aquarelle… Toutefois, un élément demeure toujours aussi fondamental : la quête de la part commune à l’humanité, par-delà les civilisations, les cultures, et les époques. (G.P.)

 

 

 

1. Philippe Piguet, « L’insoutenable légèreté du dessin », entretien, Art Absolument, n° 45, janvier-février 2012.
2. Ibidem.
3. Jean-Emmanuel Denave, « Le “cinéma intérieur” de Christian Lhopital », Le Petit Bulletin, 23 novembre 2016.

 

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