Les recherches de Gérard de Wallens ont apporté quelque lumière dans la vie encore obscure de cet artiste gantois1. On ignore le nom du maître qui le forme et lui permet d’être reçu maître dans la Corporation des peintres, sculpteurs et verriers de Gand en 1705, avec la qualification de fyn-schilder, distinguant les peintres de tableaux des stoffeerder, peintres décorateurs. À partir de cette date, hormis un autoportrait peint en 1714 (Nîmes, musée des Beaux-Arts)2, rien ne transparaît de son activité jusqu’en 1722, où on le retrouve à l’Exposition de la Jeunesse à Paris, avec des portraits aujourd’hui non localisés. Devenu l’élève de Largillière, il est reçu académicien en 1725 en qualité de peintre de portrait, sur la présentation de ceux de Guillaume Coustou et de Nicolas Bertin (tous deux au Musée national du château de Versailles), oeuvres à l’aune desquelles son talent doit être apprécié. Ils lui valent aussi d’être nommé trois ans plus tard peintre du roi.

Le nombre disproportionné des autoportraits dans l’oeuvre de l’artiste aujourd’hui connus trahit l’étendue des lacunes dans son catalogue, mais il révèle aussi une personnalité à la fois confiante dans son talent et cherchant toujours à convaincre. Un premier autoportrait, contemporain de celui de Nîmes, est signalé dans la collection Rau à Zurich. Un autre daté vers 1720-1725 s’est vendu à la galerie Georges Petit à Paris le 5 décembre 1929. Au Salon de 1745 figurait un « tableau historié, représentant le portrait de l’auteur, peint par lui-même ». La parenté de notre tableautin avec cette composition est établie par la photographie ancienne conservée de cette dernière3 ; il n’en diffère que par de menus détails. La dénomination de l’oeuvre et le détail du tableau que l’artiste pointe du doigt à l’arrière-plan – une allégorie de la Paix et de l’Abondance – révèlent la fonction promotionnelle de l’autoportrait : il s’agit d’élargir sa clientèle en montrant que l’on sait peindre l’histoire. L’idée du portrait en buste vu à travers une fenêtre signale que l’artiste appartient à la tradition flamande, le couvre-chef original traduit un sens du pittoresque, voire une disposition à la fantaisie, tandis que l’expression avenante est destinée à séduire.

Mais la publicité ne prit pas, et l’artiste, ne se voyant pas récompensé de ses efforts, fut tenté de verser dans la provocation pour attirer l’attention, comme nous l’apprend Mariette : « Piqué de se voir dans l’oubli, regardant cela comme une injustice, il s’avisa de peindre un tableau où le public était représenté sous la figure d’un âne, qui, dans son atelier et vis-à-vis d’un des ouvrages de peinture de sa façon, osait faire le métier de juge. Ses amis lui conseillèrent sagement de ne le point produire, ainsi qu’il en avait le dessein ; car il avait fait le
tableau pour être exposé à l’un des salons. Il ne put cependant se refuser tout à fait à montrer au public quelque chose de ses ressentiments ; il le grava, et j’en ai une épreuve, aussi bien que d’une autre planche de sa façon où il s’est représenté labourant dans le champ de la profession qu’il avait embrassée4. »

Delyen mourut dans le dénuement, mais n’avait pas perdu l’estime de ses pairs puisque Charles-Nicolas Cochin et Joseph-Marie Vien, respectivement secrétaire et professeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, assistaient à son enterrement au cimetière des Innocents. (M.K.)

 

 

 

1. Gérard de Wallens, Les peintres belges actifs à Paris
au XVIIIe siècle à l’exemple de Jacques-François Delyen, peintre ordinaire du roi (Gand, 1684-Paris, 1761), Bruxelles, 2010.
2. Toutefois, lors de sa vente à Paris, le 28 janvier 1783, l’expert le datait de 1724 au lieu de 1714. Il provenait de la collection La Live de Jully.
3. Wallens, 2010, n° 38, p. 207, ill. 152 p. 534. L’authenticité de notre version a été confirmée par ce spécialiste.
4. P. J. Mariette, Abecedario, Paris, 1853-1854, II, p. 88. La conjugaison et l’orthographe sont modernisées.

 

 

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