Le XVIIIe siècle, cosmopolite par excellence, a connu peu de carrières aussi itinérantes et de célébrités aussi universelles que celles de Pillement. Son inconstance semble avoir comblé de caprices toutes les cours européennes si l’on en juge par l’accueil qui fut fait à son talent partout où il se rendit, et ce en dépit des conflits qui opposèrent les grandes puissances tout au long du siècle.

Fils d’un dessinateur des soieries royales de Lyon, il étudie auprès du peintre d’histoire Daniel Sarrabat avant de se rendre à Paris en 1743, où il devient dessinateur à la Manufacture royale des Gobelins. À dix-sept ans il se sent suffisamment assuré pour prendre son indépendance : un élan autodidacte le pousse d’abord sur les chemins d’Espagne et du Portugal (1745-1750). Il refuse de cette nation la pension et le titre de Premier Peintre du roi car « ces offres honorables ne purent éteindre en lui le désir de s’instruire en voyageant1 ». Il s’établit ensuite à Londres (1754-1760) où il acquiert une solide réputation d’ornemaniste dans la manière rocaille. Après un tour de l’Italie il passe à Vienne. Tandis que ses talents de paysagiste ne sont pas encore reconnus par l’establishment parisien, méprisant à l’égard de qui n’a pas suivi le cursus académique, Pillement est employé à Vienne par la cour impériale. Le roi Stanislas Auguste de Pologne le prend ensuite à son service (1765-1767). Le titre de Premier Peintre du roi de Pologne fait beaucoup pour sa notoriété et favorise les commandes françaises, comme celles que Marie-Antoinette lui passe. Pendant la décennie révolutionnaire il se retire à Pézenas, continuant de produire abondamment, puis revient dans sa ville natale en 1800 et y meurt huit ans plus tard.

Chez Pillement, l’invention « capricieuse » propre à la pratique rococo s’enracine dans une solide connaissance de la nature – c’est le paradoxe qui caractérise son génie. L’étendue des paysages parcourus tout au long de sa carrière lui a permis d’introduire dans ce genre pictural une grande variété. Cependant, les dessins faits sur le motif aujourd’hui conservés sont singulièrement rares, et leur absence doit conduire à s’interroger sur la place de cette pratique dans sa création. La Vue de Turin est, à notre connaissance, avec les peintures représentant les jardins de Benfica à Lisbonne (1785, Paris, musée des Arts décoratifs), l’une des seules études d’un site existant aujourd’hui connues. Elle est aussi le seul témoignage graphique à nous être parvenu de son bref passage dans cette cité, où une accusation pour mauvaises moeurs le fit arrêter.

L’artiste a relaté dans ses Mémoires comment il consentit, « plus par compassion que par goût », à accepter pour compagne de voyage une dame parisienne nommée Lafar, naguère rencontrée à Londres comme marchande de mode et fuyant désormais un mari violent et un oncle malveillant. L’accusation pour rapt lancée contre le peintre par ce dernier l’a poursuivi jusqu’à Turin, où la justice lui demanda des comptes. C’est cette affaire qui retint l’artiste de rentrer en France, « de peur d’y essuyer des suites désagréables », et le conduisit à accepter la position que lui offrait la cour de Vienne2.

L’observation scrupuleuse de la topographie et de l’articulation géométrique des bâtiments de la cité, la composition strictement horizontale et la retenue dans l’exécution contrastent avec la fantaisie et les effets pittoresques habituels de ses paysages d’invention. (M.K.)

 

 

1. Autobiographie citée par Maria Gordon-Smith, Pillement, Cracovie, 2006, p. 362, N. 24.
2. Ibid., p. 93-94 et 368, N. 1.

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