Parmi les milliers de « petits portraits » de Boilly, peu conservent encore l’identité du modèle représenté1. Celui-ci a été retrouvé grâce à une étiquette manuscrite collée au dos de la toile : « Col. de Sevret. Tué à la bataille de Marengo, père de M. de Sevret, le mari de la tante de ma chère mère. Mère a vécu pendant des années rue Jean Goujon, Paris. HBB.» Il s’agit donc du colonel René Poudret de Sevret, né en 1775 et mort non pas en 1800 lors de la bataille de Marengo, mais en 1851 à Angers2.

Fils d’un notable niortais, Poudret de Sevret s’engage en 1792. Il fait partie de l’armée de Sambre-et-Meuse en 1794 puis participe aux campagnes d’Italie (1796-1797) et d’Autriche (1805). En septembre 1807, il est nommé aide de camp du général Jean-Baptiste Bernadotte (1763-1844) qu’il accompagne à Stockholm après son élection comme prince-héritier du trône de Suède en 1810. Revenu en France après la rupture de Bernadotte avec Napoléon sur la question russe, il prend la tête du 106e régiment d’infanterie de ligne et participe à la campagne de Russie où il est blessé à deux reprises (Ostrowno en 1812, Castagnaro en 1813)3. Sa carrière militaire l’aura ainsi vu passer, en vingt ans, de simple soldat à colonel.

La chute de Napoléon provoque sa mise à la retraite. Il épouse alors, en 1816, Joséphine Marie Cesbron (1799-1825) de laquelle il aura un fils, Ernest (1818-1869), et une fille, Élisabeth (1819-1882). Retiré en Anjou, Poudret de Sevret se lance dans une carrière politique : conseiller municipal d’Angers, conseiller général de Maine-et-Loire, il est élu député entre 1839 et 1846 et siège dans l’opposition libérale4.

La grande tenue d’aide de camp de Bernadotte qu’il porte sur le tableau de Boilly permet de dater le portrait entre 1807 et 1811. Accroché à sa poitrine, le ruban rouge de la Légion d’honneur témoigne de sa participation à la bataille d’Austerlitz (2 décembre 1805)5. Mais plus que les costumes ou les accessoires, c’est la physionomie du personnage qui intéresse Boilly. Il s’attache à saisir la psychologie du modèle, son statut social de soldat en pleine ascension.

Passionné par la représentation de la figure humaine, Boilly se spécialisa dans le portrait sous toutes ses formes : têtes d’expression, personnages en groupe, caricatures et portraits-charge. Mais ce sont véritablement les « petits portraits », genre auquel appartient notre tableau, qui firent la réputation de Boilly, et certainement sa fortune. Il en peignit près de cinq mille tout au long de sa carrière, dit-on, tous réalisés selon un type immuable : une toile grossièrement tissée de 22 par 16,5 ou 17 cm, une exécution sans dessin préparatoire en deux heures seulement, l’absence de signature, un faible coût de vente. Quant aux modèles, majoritairement des hommes, ils sont toujours représentés en buste, de trois quarts, généralement de droite, sur un fond neutre.

Officiers, grands bourgeois, vieille aristocratie, noblesse d’Empire – Poudret de Sevret y accéda en 1811 –, notables de province, hommes de lettres, étrangers… Ces élites peintes par Boilly dressent le portrait d’une société tendant à dépasser les divisions nées de la Révolution. (Robert Blaizeau)

 

 

 

1. Voir Annie Scottez-De Wambrechies et Florence Raymond (dir.), Boilly (1761-1845), cat. exp., Palais des beaux-arts de Lille, 2011.
2. Malgré les indications apportées par l’étiquette du tableau, nous ne sommes pas parvenus à retracer l’historique de ses propriétaires successifs ni à identifier son auteur, qui signe « HBB ».
3. Il avait déjà été blessé le 6 juillet 1809 à la bataille de Wagram.
4. Adolphe Robert, Edgar Bourloton et Gaston Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français… depuis le 1er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889…, V, Paris, Bourloton, 1891, p. 28.
5. Il est nommé chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur le 29 mai 1806. Archives nationales, LH/2209/7.

 

Réduire

Lire la suite

Fiche de l'artiste

Imprimer


Database connection error : SQLSTATE[HY000] [2005] Unknown MySQL server host 'mysql51-130.bdb' (0)