• Ill. 1 : Henri-Joseph de Forestier, Jésus guérissant un possédé du Démon, 1818, huile sur toile, 308 x 215 cm, Cahors, musée Henri-Martin.

    Ill. 2 : Léon Pallière, La Flagellation du Christ, 1817, huile sur toile, 45,7 x 30,5 cm, New York, Metropolitan Museum.

    Ill. 3 : Jean-Auguste Ingres, Jésus remettant à sain Pierre les clefs du Paradis, 1820, huile sur toile, 280 x 217 cm.

Les données d’état civil fluctuantes que les notices d’oeuvres et de dictionnaires ont relevées de cet artiste, jusqu’à une date récente, trahissent la méconnaissance que les historiens en ont eu, lesquels l’ont fait naître alternativement en 1787, 1790 ou 1797, et mourir en 1868, 1872, 1874 ou 1892, tantôt à Paris, tantôt à la Guadeloupe. Philippe Grunchec a le premier déduit son année de naissance exacte des occurrences de son âge dans les procès-verbaux des concours de l’École des beaux-arts, induisant toutes qu’il est né en 1787. L’avis de son enterrement, en décembre 1872, a par ailleurs permis de lever la confusion sur l’année de sa mort1.

Né à Saint-Domingue dans une famille de planteurs, Henri-Joseph de Forestier arrive en France avant 1803, date de son inscription à l’École des beaux-arts. Élève de Vincent, et accessoirement aussi de David, il est le lauréat du grand prix de peinture d’histoire de 1813 et rejoint à ce titre l’Académie de France à Rome l’année suivante. Il reste lié à Rome bien après la fin de son pensionnat, puisqu’on l’y retrouve en 1824 en compagnie des artistes autodidactes qui s’y sont établis (les peintres Victor Schnetz et Léopold Robert, les sculpteurs Paul Lemoyne et Jean-Baptiste Roman, entre autres)2. À l’issue de son parcours académique, Forestier obtient plusieurs commandes publiques et est nommé chevalier de la Légion d’honneur, en 1832. Sa production néanmoins reste rare, et ses participations au Salon irrégulières ; elles cessent tout à fait en 1835, après qu’il eut été mis en cause comme suspect dans l’enquête sur l’attentat de Fieschi contre le roi, le 28 juillet, sur la foi de témoignages faisant état de ses opinions républicaines exprimées publiquement le jour même3. C’est encore la politique qui le ramène sur la scène publique au cours de la deuxième république. Promu colonel de la 6e légion de la garde nationale en 1848, il prend part à la manifestation révolutionnaire du 13 juin 1849, organisée par l’extrême gauche conduite par Ledru-Rollin. Arrêté, il sera acquitté par la haute cour de Versailles4, comme il l’avait été par la Chambre des pairs treize ans plus tôt. L’effacement de l’art dans la seconde partie de ce curriculum – Forestier finit sa vie comme maire du 6e arrondissement de Paris – suggère que la fortune familiale l’avait mis à l’abri du besoin.

L’esquisse de Jésus guérissant un possédé du Démon rappelle qu’il est pourtant considéré, à ses débuts, comme l’un des peintres prometteurs de la jeune génération. Pensionnaire de la Villa Médicis, il est tenté de prendre ses distances avec les normes académiques comme le révèle le vocabulaire de l’excès employé par les académiciens dans l’analyse de ses travaux : il montre « de la vigueur dans les sentiments et l’exécution », mais l’artiste dont « l’ardeur de bien faire éclate de tous les côtés5 » a besoin de « réprimer la fougue qui l’entraîne hors des limites du goût de la simplicité6 ». S’il n’est pas permis de jauger le caractère romantique de l’Homme tuant un serpent, objet de ces commentaires et aujourd’hui non localisé, les rares dessins conservés de la main de Forestier attestent, par l’usage contrasté des lavis de gouache blanche et d’encre brune, une communauté plastique avec ceux de Géricault, Schnetz et Cogniet, alors que ces jeunes artistes tentent de redonner vigueur au vocabulaire classique dans les années 18107.

En 1817, grâce à Charles Thévenin, directeur libéral de l’Académie de France, Forestier est invité, ainsi que son condisciple Léon Pallière et son aîné Ingres, à contribuer au décor d’une chapelle de l’église de la Trinité-des-Monts, dont le nouvel ambassadeur de France, le comte de Blacas, a entrepris la restauration. Le programme consacré à la vie du Christ les laissant libres du choix de leur sujet, les trois peintres représentèrent respectivement la guérison d’un possédé, la Flagellation et la remise des clefs à saint Pierre. Si la comparaison des trois oeuvres, conservées l’une au musée de Cahors (ill. 1), la seconde in situ (nous reproduisons son esquisse, ill. 2) et la troisième au musée Ingres (ill. 3), fait ressortir l’originalité de cette dernière, d’une sensibilité nazaréenne inédite dans l’art français, l’oeuvre de Forestier s’impose néanmoins par une énergique sévérité qui rappelle les premières heures de l’atelier de David, et plus particulièrement l’art de Jean-Germain Drouais.

La petite esquisse de Forestier présente de nombreuses variantes secondaires par rapport au tableau final, dans les postures, dans l’arrière-plan, qui localisait d’abord la scène dans un paysage plutôt que dans un lieu urbain. Mais les différences les plus significatives sont chromatiques : le passage d’une palette nuancée à des couleurs franches, qui se retrouvent dans les drapés d’Ingres et de Pallière, suggère que les trois peintres ont harmonisé leur palette, de sorte à donner à la chapelle un éclat exprimant la volonté de restauration tant matérielle que spirituelle du pieux établissement français.

Présenté à Rome avec les ouvrages des pensionnaires du 15 au 31 mai 1818, Jésus guérissant un possédé du Démon ne fut exposé à Paris qu’au Salon de 1827 où il reçut un accueil favorable. Auguste Jal, entre autres, le jugea « digne d’estime, dans le genre sévère et simple de quelques-uns des anciens maîtres italiens en présence desquels il l’a composé et exécuté8 ». (M.K.)

 

 

 

1. Souvent incorrect, le dictionnaire de Bellier et Auvray, I, 1882, donne 1790-1868 comme dates de vie. Lors de la distribution des prix de peinture de l’École des beaux-arts le 21 août 1807, où il figure comme second accessit, Forestier est signalé comme âgé de vingt et un ans (Procès-verbal de la distribution générale des prix aux élèves des écoles spéciales du 21 août 1807, Paris, Imprimerie impériale, 1807, p. 21), et de vingt-six ans lors de la cérémonie de 1813 qui le proclame lauréat du grand prix (Revue encyclopédique : ou Analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans la littérature, les sciences et les arts, Paris, Imprimerie de J. B. Sajou, 1813, p. 417). Sur sa date d’enterrement : État civil d’artistes français ; billets d’enterrement ou de décès depuis 1823 jusqu’à nos jours, Paris, Société de l’histoire de l’art français, 1881, p. 112.
2. Étienne-Jean Delécluze, Carnet de route d’Italie (1823-1824). Impressions romaines, introduction et notes de Robert Baschet, Paris, 1942, p. 102.
3. Comte de Portalis, Rapport fait à la Cour des Pairs - Attentat du 28 juillet 1835, Paris, Imprimerie royale, 1835, p. 422.
4. Procès des accusés du 13 juin 1849 devant la Haute-Cour de justice, Paris, 1849, passim.
5. Rapport de Guérin et Gros sur les envois de Rome de 1817, voir C. Giraudon (éd.), Procès-verbaux de l’Académie des Beaux-Arts, II : 1816-1820, Paris, École des Chartes, p. 179.
6. Rapport de Dupaty sur les mêmes envois, ibid., p. 516.
7. Voir par exemple La Colère de Saül contre David, The Baltimore Museum of Art, repr. dans Jay Fischer et William Johnston (dir.), The Essence of Line: French Drawings from Ingres to Degas, cat. exp. Baltimore, 2005, n°55, p. 226-228 (notice par Philippe Bordes).
8. Auguste Jal, Esquisses, croquis, pochades, ou Tout ce qu’on voudra, sur le Salon de 1827, Paris, 1828, p. 494.

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